André-Pierre Gignac et son chapeau mexicain seront bel et bien dans le paysage lors du prochain championnat d’Europe en France, du 10 juin au 10 juillet : l’attaquant peroxydé des Tigres de Monterrey pourra remercier le vestiaire des Bleus, qui a choisi d’envoyer le meilleur joueur français - ses six saisons et demie au Real Madrid faisant foi - dans la bordure.
Karim Benzema aura eu le droit d'annoncer la décision le concernant sur Twitter quelques minutes avant que la Fédération française de foot (FFF) ne publie le communiqué formalisant sa mise au tas ; ce qu'on peut interpréter comme une politesse que lui aura faite l'institution. «Malheureusement pour moi et ceux qui m'ont toujours soutenu et supporté, je ne serai pas sélectionné pour notre Euro en France…» Le «notre» serrera le cœur des supporteurs du joueur, qui n'a donc pas fait état de son amertume. Quant au communiqué, la règle exige qu'on le lise entre les lignes : «A la lumière […] de la levée partielle du contrôle judiciaire de monsieur Benzema, qui rend à nouveau possible sa convocation en équipe de France, il n'existe aucun obstacle, sur le plan juridique, au fait qu'il soit sélectionné. Forts de cette analyse, messieurs Le Graët [le président de la Fédération, ndlr] et Deschamps [le sélectionneur des Bleus] se sont rencontrés pour évoquer la situation de monsieur Benzema. Le président de la fédération et le sélectionneur tiennent à rappeler que la performance sportive est un critère important mais pas exclusif pour décider de la sélection au sein de l'équipe de France de football. La capacité des joueurs à œuvrer dans le sens de l'unité, au sein et autour du groupe, l'exemplarité et la préservation du groupe sont également prises en compte.»
La toile de fond : l’affaire dite de la sextape, Benzema étant mis en examen cet automne dans la tentative de chantage à la vidéo à usage privée dont est victime son (ex) coéquipier chez les Bleus Mathieu Valbuena, le Madrilène étant soupçonné d’avoir servi d’intermédiaire pour le compte d’un de ses amis d’enfance prétendant détenir l’enregistrement compromettant.
«Il fallait que je dise quoi ?»
Ce que l'on sait : Noël Le Graët mène depuis des mois une véritable croisade pour la réhabilitation de Benzema, en interne comme lors de ses apparitions médiatiques. Devant les micros, il a systématiquement abordé le cas du joueur en se posant comme une sorte de gardien du temple républicain, fustigeant des arrière-pensées racistes chez ceux qui réclamaient la tête de Benzema - «il fallait que je dise quoi ? A mort l'Arabe ?» lâché sur la chaîne L'Equipe 21 mi-janvier - et louant sans relâche les qualités humaines d'un homme qu'il a pourtant suspendu début décembre, sous la pression déclenchée par une interview donnée au Monde par un Valbuena rappelant à toutes fins utiles sa qualité de victime dans l'histoire. Parallèlement, le président de la FFF menait un combat en coulisse pour retourner les membres de son comité directeur, fatigués par les coups de buis (bus de Knysna, insultes de Samir Nasri, affaire Zahia, virée nocturne des Espoirs durant un stage, sextape) qui s'abattent sur l'image des Bleus depuis 2010.
Message ambigu
Des membres qui ont été aussi pour certains contactés par Karim Djaziri, l'agent de Benzema, monté au front pour défendre les intérêts du joueur et les assurer de ses excellentes dispositions d'esprit à venir. Le travail de Le Graët a porté : même compliqué par l'audition du joueur comme témoin dans une histoire de blanchiment révélé par Libération en mars (audition que Benzema avait omis de signaler à Le Graët), les opposants du comité directeur s'étaient adoucis, sensibilisés par le message ambigu qu'aurait délivré la mise à l'écart d'un joueur pareil, sans que la justice ait statué. Ne restait plus qu'un obstacle à son retour : Deschamps, en principe le plus sensible - puisqu'il détient les clés techniques - aux qualités purement footballistiques de l'attaquant.
Il y a un truc. Lors du dernier rassemblement, fin mars, le sélectionneur a sondé le vestiaire des Bleus sur un éventuel retour du Madrilène parmi eux. Dans l'ensemble, les réactions ont été assez tièdes. Interrogés par la presse sur le cas Benzema, Laurent Koscielny et Antoine Griezmann ont fait le service minimum, aucun joueur ne témoignant par ailleurs de son soutien après les matchs alors que l'occasion était belle : Blaise Matuidi l'avait saisie à pleines mains pour sortir Aurier de l'ornière dans laquelle l'avait mis l'affaire Periscope - «c'est mon ami, il a l'estime du groupe, etc.»
De leur côté, certains joueurs se sont demandé ce qu’on attendait d’eux en pareilles circonstances, soupçonnant la FFF d’organiser la mise à l’écart de Benzema et ne voulant pas s’y brûler les doigts. Le Madrilène est donc en partie fondé à s’estimer lâché. Il a aussi construit sa trajectoire sportive sur l’axiome suivant : je suis tellement fort que mon niveau me permettra d’ouvrir toutes les portes en toute indépendance d’esprit, sans avoir besoin que l’on me tende la main. Il en aura payé le prix mercredi. Lors du dernier match amical gagné (4-2) face aux Russes, Gignac, lui, tombait ostensiblement dans les bras de Giroud, son concurrent au poste, après avoir marqué. Lui sait depuis longtemps que le foot ne se joue pas que sur le terrain.