La décision d’écarter Karim Benzema pour l’Euro (10 juin-10 juillet en France), à cause de son implication présumée dans le chantage à la sextape dont est victime Mathieu Valbuena, n’est pas critiquable en soi. Elle a été prise par les instances élues du foot, en toute indépendance d’esprit (il aura fallu que le président de la République rappelle à l’ordre deux ministres), même si la prise en compte de l’opinion publique est probable. En revanche, les modalités de sa mise à l’écart interrogent. Le président de la Fédération française de foot (FFF), Noël Le Graët, a laissé son sélectionneur Didier Deschamps trancher… et s’est débrouillé pour le faire savoir : dans un monde idéal, c’était à la tutelle d’assumer seule.
On se perd en conjectures. Mauvaise humeur d'un édile qui lutte sur tous les fronts depuis novembre pour permettre la réintégration de Benzema, persuadé a priori du désir de Deschamps - exprimé dans l'Equipe en mars - de compter sur sa star à l'Euro ? Relative inexpérience de Le Graët, dès lors qu'il n'est pas seul à décider, un pli qu'il a énormément de mal à prendre ? Les deux à la fois ? En tout cas, dans l'éviction de Benzema, Deschamps est en première ligne. Enfin, pas tout à fait. Le sélectionneur a fait le tour des poids lourds (façon de parler, l'effectif tricolore ne comptant pas de leader incontournable, hormis Patrice Evra) du vestiaire des Bleus avant de rendre son verdict, déportant ainsi une partie de la responsabilité fédérale sur les joueurs. La démarche du coach est logique en soi : mesurer la toxicité du retour de Benzema dans une équipe où il est accusé d'avoir fait chanter un de ses partenaires, lequel ne s'est pas remis sportivement - depuis son retour de blessure, Valbuena est remplaçant à Lyon - d'une affaire où la mise en examen de Benzema a éclipsé tout le reste.
Prise dans le contexte, la consultation de Deschamps est cependant perverse. Elle dévie le regard vers les intéressés : qui était pour, qui était contre ? Publiquement, seul le gardien et capitaine Hugo Lloris avait pris quelque distance avec Benzema sans pour autant le nommer, expliquant depuis l'Angleterre qu'un international tricolore doit être «irréprochable sur le terrain, mais aussi et surtout en dehors». Les autres s'étant défaussés, on aura vite fait de faire les comptes… sauf double discours devant et hors micro, ce qui est courant dans le foot. L'argument d'un renouveau lié aux deux victoires fin mars en amical (3-2 aux Pays-Bas, 4-2 face aux Russes) sans Benzema ne tient pas : la haute compétition n'aura rien à voir avec ces matchs. Si cet artefact de communication sert aujourd'hui, il ne vaudra rien demain. En revanche, le poids de la mise à l'écart du Madrilène pèsera tout du long sur le sélectionneur et son vestiaire, c'est-à-dire sur les acteurs. Celui d'un Euro à domicile était déjà bien lourd.