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Libération
Décryptage

Rio : Les sept plaies des Jeux

JO. A cent onze jours de la cérémonie d’ouverture, les problèmes politiques, sociaux et environnementaux du Brésil pèsent sur certains des sites de l’événement. Visite de chantier.
A Vila Autodromo, à proximité du chantier du Parc olympique, en juin 2015. Cette favela a été désertée par 90 % de ses habitants. (Photo Pilar Olivares. Reuters)
par Chantal Rayes, envoyée spéciale à Rio
publié le 15 avril 2016 à 18h41

A Rio, l’ambiance n’est pas franchement à la fête. A quatre mois des Jeux olympiques d’été (du 5 au 21 août), les préparatifs se poursuivent dans l’indifférence quasi-générale. Le plus grand événement sportif de la planète est éclipsé par une crise politique et économique sans précédent.

1- La crise politique

Le Comité olympique international (CIO) reconnaît suivre la situation de près. Menacée de destitution, la présidente Dilma Rousseff n’est même pas sûre d’être en place lors de la cérémonie d’ouverture. Le Congrès doit décider de son sort d’ici le début mai. Aussi la Présidente a-t-elle renoncé à se rendre à l’allumage de la flamme olympique, le 21 avril en Grèce. Le Brésil n’a même plus de ministre des Sports. Le titulaire du portefeuille, George Hilton, a démissionné, son parti ayant rompu avec le gouvernement - ce pasteur évangélique était, certes, étranger aux questions sportives. L’intérim est assuré par l’homme fort du ministère, Ricardo Leyser, plus impliqué dans les préparatifs des compétitions.

Quant à la dégringolade économique, son impact sur la logistique olympique ne paraît pas déterminant. «Lorsque la crise a commencé, les financements des Jeux étaient déjà assurés», confirme Jean-Jacques Fontaine, journaliste suisse basé à Rio et auteur d'un ouvrage sur la question à paraître fin avril (1). Il craint cependant «un fort retour de manivelle le jour d'après». Quelque 35 000 ouvriers risquent de se retrouver au chômage une fois livré le chantier olympique.

2- Les retards

Rio n'est pas tout à fait prêt. Les retards concernent surtout les travaux d'expansion du métro et de construction du vélodrome. Des ouvriers s'affairent sur le Parc olympique, centre névralgique des Jeux où se disputeront les compétitions dans 16 disciplines sur 28. Selon Roberto Ainbinder, porte-parole de la mairie, 12 des 15 sites construits pour l'occasion sont déjà achevées. «Livrer dans les temps et sans dépassement de budget était un défi, et nous l'avons relevé», se vante-t-il. «La situation n'est certes pas aussi critique qu'en 2014, à la veille du Mondial de foot, mais elle n'est pas confortable non plus, tempère Jean-Jacques Fontaine. Les délais seront tenus, du moins pour l'essentiel.»

Les JO auront coûté à Rio 39 milliards de reals (près de 10 milliards d’euros), soit autant que l’édition 2012 à Londres. Un budget considéré donc comme raisonnable, au vu des carences de Rio en infrastructures. Pour le maîtriser, la mairie a fait appel à des entreprises privées qui ont pris à leur charge 57 % de l’ardoise, en échange, il est vrai, d’avantages alléchants. Des équipements sportifs déjà existants ont également été mis à profit. Tel l’improbable complexe militaire de Deodoro, qui accueillera onze disciplines.

Deodoro, c'est l'envers du Rio carte postale. Ce quartier populaire est situé à l'extrême ouest de la ville et la présence des soldats n'y est guère rassurante. «Pour une fois, on ne réduit pas Rio à ses plages. Mais je vois mal un touriste américain venant jusqu'ici», confie un journaliste. Les fédérations concernées craignent que la distance ne rebute le public. Elles ont aussi des réserves sur la qualité des installations.

3- La corruption

Des soupçons de corruption pèsent aussi sur les Jeux. «Les coûts au mètre carré et leur évolution sont à la disposition du public, réagit Roberto Ainbinder. Le vélodrome de Rio, par exemple, a coûté moins cher que celui de Londres ou celui de Pékin.» Signe, selon le porte-parole de la mairie, que les contrats n'ont donné lieu à aucune surfacturation. La justice a pourtant des doutes, et a suspendu le versement de 30 millions d'euros à un des consortiums responsables des travaux à Deodoro. La corruption paraît cependant moins grave que pour le Mondial. Les JO sont moins contestés aussi. «Ce n'est pas leur pertinence qui est en cause, mais plutôt la manière dont le processus est mené», résume Jean-Jacques Fontaine. Exemple : les déplacements de populations (plus de 4 000 familles selon l'ONG Terre des hommes), «souvent nécessaires, mais menés sans dialogue, d'où un sentiment de frustration et d'absence de citoyenneté».

4- La deuxième vie des installations

Rio se prévaut d'avoir mis à profit les Jeux pour sortir des cartons de nombreux projets (qui absorbent 60 % du budget total). Comme la revitalisation de la zone portuaire ou le développement du réseau de transports, notamment par la construction de lignes de BRT (bus rapides) et d'un tramway. Pour Jean-Jacques Fontaine, «le projet est globalement réussi et n'aurait pu avoir lieu sans les JO, qui offrent à l'ancienne capitale du Brésil l'occasion de se relancer après une longue crise d'identité». Mais la prétendue «révolution» dans les transports ne profitera qu'à la ville intra-muros : «Les communes environnantes, soit la moitié de l'agglomération urbaine, ne sont pas concernées, alors que bon nombre de leurs habitants vont travailler quotidiennement à Rio.» De même, le village olympique ne sera pas reconverti en logements sociaux, comme à Londres. L'entreprise qui a construit les 3 600 appartements où logeront les athlètes entend bien rentrer dans ses frais en les vendant à des CSP ++. «Sous couvert des Jeux, la mairie implante un modèle de ville élitiste, qui encourage la spéculation immobilière et aggrave les inégalités spatiales et sociales», dénonce Terre des hommes.

5- La pollution

Dans la baie de Guanabara, où se tiendront les épreuves de voile, détritus et excréments se comptent en tonnes. La dépollution du site, où se déversent les égouts des communes voisines, est un projet ancien qui a déjà englouti plus d'un milliard de dollars, sans jamais vraiment avancer. Pour les Jeux, Rio avait promis au CIO de traiter 80 % des égouts de la région. Avant de reconnaître que cette promesse ne sera pas tenue. «Il y a eu un manque de volonté politique», reprend Jean-Jacques Fontaine. Après l'épreuve test de voile, en août dernier, 43 athlètes ont éprouvé des malaises (diarrhées, vomissements). La Fédération internationale de voile (World Sailing) joue désormais l'apaisement, Rio ayant pris des mesures palliatives. Des embarcations vont ramasser les déchets, et des canalisations ont été construites pour empêcher les égouts de se déverser là où se tiendront les épreuves. Autre projet relégué aux calendes grecques : l'assainissement du lac Rodrigo de Freitas, où se dérouleront les compétitions d'aviron et de canoë et où la pollution tue des tonnes de poissons.

6- La sécurité

Face à la chute de ses recettes, l'Etat de Rio a dû reporter l'installation d'«unités de police pacificatrice» (UPP) dans Maré, l'immense ensemble de bidonvilles près de l'aéroport international. Controversée, cette politique de «pacification» visait à sécuriser, à la veille du Mondial de foot et des JO, les favelas proches des sites touristiques et des installations sportives. Les UPP étaient censées reprendre le contrôle de ces quartiers longtemps aux mains des gangs de narcotrafiquants. Mais, malgré d'indéniables succès (comme la baisse des homicides), la violence remonte dans les favelas «pacifiées». Les caïds reprennent le terrain perdu. Les rapports entre policiers et favelados se dégradent. Les touristes n'auront cependant rien à craindre. Pendant les Jeux, 38 000 hommes quadrilleront la ville.

7- Zika

Le virus Zika ne représente pas une menace selon le CIO, qui préconise cependant l'usage de répulsif et de vêtements couvrants. Des comités olympiques (Etats-Unis, Kenya) auraient un temps envisagé d'autoriser leurs athlètes à renoncer à venir à Rio, des rumeurs vite démenties. Les compétitions (notamment paralympiques) se dérouleront en août et septembre, des mois moins chauds et plus secs au Brésil, et donc moins propices à la prolifération du moustique Aedes aegypti, qui transmet la maladie. Les installations sportives sont périodiquement inspectées - elles le seront quotidiennement pendant les Jeux - pour traquer les foyers larvaires.

(1) 2016, Rio de Janeiro et les Jeux olympiques, une cité réinventée, éd. L'Harmattan.