Menu
Libération
Portrait

Carlos Betancur, le moral à Giro

Vélo. L’ex-prodige colombien, moqué pour ses kilos en trop, a été exfiltré vers une nouvelle équipe en octobre. Vendredi, aux Pays-Bas, le coureur fantasque a pris le départ du Tour d’Italie.
Carlos Betancur lors de la première étape du Giro ce vendredi. (Photo Bas Czerwinski. AFP)
publié le 6 mai 2016 à 20h41

C’est l’autre affaire Betancur. Sur le Tour d’Italie, qui s’est élancé vendredi des Pays-Bas pour trois semaines de rebondissements, un coureur replet va tenter d’écraser un peloton de maigrichons. Le Colombien Carlos Alberto Betancur Gómez, alias «Bananito», 26 ans, s’affiche en outsider intrigant. L’air de se foutre royalement de tout, des cernes sous la pupille, la voix qui traîne et la démarche molle, les dents longtemps barbelées par un appareil d’orthodontie, Betancur est un adolescent en crise, qui a déjà terminé cinquième et meilleur jeune de l’épreuve italienne en 2013. Cette année, c’est la grosse cote. Personne ne le croit en mesure de grimper sur le podium. Et pourtant…

La légende Betancur est née il y a trois ans, quand le coureur de Ciudad Bolívar, au nord-ouest de Medellín, il remporte un succès de prestige, Paris-Nice. Signe particulier : il a 5 kilos de trop. Il porte alors, un peu serré, le maillot de l'équipe française AG2R et il fait disjoncter ses collègues par ses attitudes. Confidence : «Ce gars mangeait des cochonneries toute la journée. Il attaquait le petit déj avec une montagne de pains au chocolat. Puis c'était des bananes, tout le temps, à table ou sur le vélo.» Quand les journalistes lui rendent visite, Carlos demande : «Une bière ?» S'ils disent non, il n'en prend pas mais il boude.

Beaux gueuletons

Dans un cyclisme de têtes d'épingle, où les coureurs sont sculptés aux corticoïdes et autres médicaments plus ou moins interdits, ou plus naturellement avec des régimes inhumains, ce jeune «prodige» détonne. Son coéquipier Jean-Christophe Péraud, 2e du Tour de France en 2014, se souvient : «Ses manchettes serraient ses bras comme des saucisses.» Les cinq fruits et légumes frais par jour, très peu pour Betancur. Désespoir du médecin de l'équipe, le Dr Eric Bouvat, qui poursuit d'habitude ses troupes avec la pince à graisse.

L'un de ses plus beaux gueuletons a lieu en août 2013. Alors que son manager, Vincent Lavenu, traque ses divers écarts, Betancur s'enfuit de l'hôtel Ibis à Chambéry dans la Peugeot 206 d'un jeune coureur amateur. Pour se sentir moins seul, il embarque deux mouflets du peloton, un Italien et un pote colombien. Direction le McDo. Interrogé par Libération, un témoin se remémore : «Ce mec était une star montante et il s'enfilait des cheeseburgers à dix jours du Tour d'Espagne…» Ses frasques ont fini par inquiéter l'équipe française. Le coureur ne répond plus aux mails ou aux coups de fil, posant des lapins comme un magicien d'opérette. Parmi ses excuses, tantôt un problème de visa Schengen, tantôt un cytomégalovirus, source de fatigue intense.

Quand il est chez lui, en Toscane, Betancur ne donne pas signe de vie. Quand il retourne en Colombie, il prend encore plus de poids. Ses participations au Tour de France sont annulées. AG2R-La Mondiale tente de briser son contrat, en vain. Derrière ses manies de bouffe, ses silences de «branleur», les histoires drôles dont le peloton se régale, un problème plus grave couve. Au «mieux» une forme de dépression, au pire une arnaque dont le cyclisme a parfois encore le secret.

Il faut dire qu'en 2013, on célèbre le retour triomphal des Colombiens tout en haut de l'affiche, après plus de vingt ans d'un relatif sommeil. Les soupçons s'amoncellent sur cette percée soudaine et l'on se rappelle que plusieurs de ces talents ailés présentent des taux très élevés de globules rouges - l'hématocrite, signe d'un dopage à l'EPO, d'une enfance passée sur les hauts plateaux, ou les deux. Betancur n'échappe pas au mythe de ces champions fabriqués en série dans la cordillère des Andes. Il grandit à 1 800 mètres d'altitude, dans une famille qui récolte le café - il aime cependant souligner qu'il n'a «jamais manqué de nourriture», ce qui représente avec le recul un soulagement réel.

Mais derrière ces belles histoires de «grimpeurs-scarabées», le surnom des cyclistes en Colombie, il y a peut-être autre chose. Attisant les rumeurs, le rapport de la Commission indépendante pour la réforme du cyclisme, la Circ, laisse entendre en février 2015 que le docteur Eufemiano Fuentes, poursuivi pour dopage dans «l’affaire Puerto», continuerait de sévir quelque part en Amérique du Sud. Et d’ailleurs, Carlos Betancur n’est-il pas conseillé par l’ex-professionnel Michele Bartoli, lui-même lié au «doping doctor» Luigi Cecchini ? Alerte rouge.

Optimiste

En octobre dernier, Betancur est enfin exfiltré vers l'équipe espagnole Movistar. Il y retrouve Nairo Quintana, son compatriote qui s'affirme comme le prétendant numéro 1 du Tour de France cet été, ou Alejandro Valverde, un ancien client du Dr Fuentes qui vise le Tour d'Italie ces jours-ci. Le Giro, «la course au maillot rose», demeure ouverte : Vincenzo Nibali (Astana), voire Mikael Landa (Sky), se détachent péniblement du lot, les Français Jean-Christophe Péraud (AG2R-La Mondiale) ou Alexandre Géniez (FDJ) espèrent terminer sur le podium… Officiellement, Betancur, qui n'a plus que 7 kilos à perdre, fera l'équipier pour Valverde. Mais sait-on jamais ? Fin avril, un membre de sa nouvelle équipe se montrait optimiste sur son état d'esprit. Carlos va bien, il a déménagé près de Pampelune avec sa femme et son bébé.