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Libération
Éditorial

Zlatan, la politique de la tête brûlée

La star suédoise du PSG Zlatan Ibrahimovic exulte après un but face à Chelsea en Ligue des champions au Parc des Princes, le 13 mai 2016 (Photo FRANCK FIFE. AFP)
Publié le 14/05/2016 à 8h47

Le championnat de France de foot a perdu son mâle dominant. Avec son panache coutumier, l'attaquant suédois du Paris-SG, Zlatan Ibrahimovic (34 ans), a annoncé vendredi matin sur son compte Twitter son départ en fin de saison, une clause de style puisqu'il était en fin de contrat en juin 2016, la direction du club de la capitale ne lui proposant pas de prolongation : «Je suis arrivé comme un roi, je pars comme une légende.» Sur ce même compte Twitter, Ibrahimovic désignait parfois le meilleur joueur parisien après les matchs de L1. Un jour, il a demandé à son community manager de mettre en ligne le nom de Nicolas Douchez, troisième gardien du club, qui avait passé les quatre-vingt-dix minutes en costume dans les tribunes. Une manière de rock star : si ce n'est pas moi, autant dire que c'est personne, donc c'est n'importe qui. La mandature parisienne du joueur est sportivement incroyable, même s'il faut la juger à l'aune de la supériorité d'une équipe à 500 millions de budget par saison que l'on oppose le week-end à des clubs qui bricolent avec 35 : quatre titres de champion de France, trois titres de meilleur buteur, 114 buts en L1 en quatre saisons avant la réception de Nantes ce samedi… et une inextinguible rage individuelle - il lui en fallait toujours plus, même quand le match était plié - qui aura tiré vers le haut une équipe qui, sans lui, aurait pu se reposer sur le confort de sa domination.

Pour le reste, c'est une histoire magnifique : une tête brûlée en butte à l'autorité partout où il est passé - Milan AC, Inter Milan, Barcelone -, considérée comme une bête de foire à qui la direction qatarie du Paris-SG donne les clés du vestiaire (lire Libération du 14 mars), et plus encore, puisque le Suédois fut la tête de pont marketing permettant à un club francilien sans réputation internationale d'intégrer le grand monde. Le joueur a rendu cette confiance : à quelques écarts près, il a fait ce qu'on attendait de lui avec un sens des responsabilités à la mesure de sa stature sportive.

Les écarts : le «France pays de merde» lâché en avril 2015 à Bordeaux (il parlait du foot français), voire le «avant moi, ici, il n'y avait rien». Ce dernier jugement peut s'entendre. A l'Olympique lyonnais près, le foot français a été laminé par les conséquences de l'arrêt Bosman (1) et la libéralisation totale du marché des joueurs, les meilleurs d'entre eux étant désormais concentrés dans une petite dizaine de clubs. Les gazo-dollars qataris sont arrivés, Ibrahimovic aussi et celui-ci a mis le PSG sur la carte. Il fut ainsi le visage de cette élite mondialisée aux yeux du public français : coupée du monde (il habite deux appartements qui communiquent entre eux place de l'Etoile, avec ascenseur privatif), ultra-individualiste, en insatisfaction permanente (on a même vu un équipier quitter le stade à la mi-temps d'un match parce qu'il n'en pouvait plus) et d'un professionnalisme total, exotique dans l'Hexagone.

Payant un nutritionniste et un préparateur physique sur ses propres deniers, il s’étonna ainsi de la médiocre qualité des repas servis au centre d’entraînement du Paris-SG. Un intendant lui répondit qu’il avait un budget de moins de 10 euros par repas : rapporté aux 64 millions dépensés pour faire venir l’attaquant de Naples Edinson Cavani, c’est toute l’inculture profonde du haut niveau des clubs français qu’Ibrahimovic a dessinée ce jour-là avec une simple question. Côté pile, il lui fut reproché de ne pas exceller avec Paris sur le front européen : 33 buts en quatre campagnes de Ligue des champions (et quels buts, parfois…), le verdict est sévère. De fait, il avait du mal à briller à partir des quarts de finale, diffusant l’idée que le club n’accomplirait pas son grand rêve de conquête européenne avec un joueur bloqué à ce niveau. Pour notre part, il nous semble que les limites entrevues à ces altitudes appartenaient plus sûrement au collectif parisien qu’à son avant-centre. On verra la saison prochaine si le grand Suédois était vraiment le problème. Aucune chance, en fait.

(1) Qui a supprimé les quotas de joueurs étrangers en 1995.