La Ligue 1 s’est achevée samedi sur le sauvetage invraisemblable du Toulouse FC (Reims et le Gazélec Ajaccio en Ligue 2) et offrant un épilogue de ce qu’elle est par nature, jusque dans ses recoins cachés, loin, très loin du storytelling que ceux qui vivent économiquement du foot lui plaquent à toute force. Cinq introspections en prenant l’entrée de service.
Ibrahimovic et le mélange des genres
Samedi, à 21 h 10 tapante, la Ligue 1 de football a plongé de sa propre initiative dans la honte et les ténèbres. Lionel Jaffredo, 46 ans, arbitre de son état, endossa le rôle de clown que sa tutelle voulait qu’il tienne : une interruption du match entre le Paris-SG et Nantes (4-0) pour permettre au public du Parc des Princes d’ovationner son attaquant Zlatan Ibrahimovic, 154 buts en 179 rencontres durant ses quatre saisons dans la capitale.
La Ligue a plaidé dans l'Equipe «l'absence d'enjeu, pour aucune des deux équipes». N'importe quoi : le FC Nantes a perdu potentiellement 2,5 millions d'euros de prime de classement samedi. Et demain, on rabotera les matchs d'une demi-heure pour ne pas blesser un joueur en particulier ? Tout est nié : le foot - entendu comme l'affrontement à la régulière de deux équipes de onze, durant deux mi-temps de quarante-cinq minutes sans intervention extérieure et avec le même arbitrage pour tous - est méprisé, son acception hexagonale (on se couche devant une superstar) est ridiculisée et, par-dessus le marché, le vague sous-entendu démocratique implicite l'espace d'un match - si les joueurs ne sont pas égaux en talent, ils le sont en droits - explose sous l'effet d'on ne sait quelle démonstration. L'épisode a un mérite : éclairer le mélange des genres qui irrigue les instances, la Ligue n'ayant rien à refuser à un Paris-SG sous capitaux qataris dans la mesure où ces mêmes capitaux qataris - 186,5 millions d'euros par an versés par BeIn Sports au titre de droits télés - font vivre les clubs français.
La pantomime de samedi démontre que le sport n'a plus sa place dans le barnum. On avait compris en regardant les matchs : avec 96 points et 102 buts marqués pour 19 encaissés (record d'imperméabilité défensive), le parcours de ce Paris-SG 2015-2016 est à la notion de compétition ce que le pipeau est au piano à queue. Quant au roi de la fête, qui a décidé de sortir du terrain alors que son coach, Laurent Blanc, avait déjà fait ses trois remplacements (histoire de prendre les pauvres Nantais pour des charlots, «voyez, on n'a même plus besoin d'être à 11 tellement on vous en a mis»), il aura constamment donné l'impression d'être au deuxième degré. Le fait que la Ligue prenne ses facéties au premier degré est d'autant plus tragique.
Jardim, éternel employé du mois
Les marchés des transferts successifs de l'AS Monaco, qui a pris samedi (2-0 devant Montpellier) la 3e place et le tour préliminaire de la Ligue des champions, ressemblent à des transactions sur Leboncoin.fr : tout peut se vendre ou s'acheter, c'est une affaire de prix. Les agents valsent, les millions aussi et au milieu du trafic, Leonardo Jardim s'assoit sur un banc.
L'entraîneur portugais de 41 ans ne moufte pas quand on lui dit de prendre un joueur ou d'en laisser un dans l'ombre, comme Thomas Lemar, l'un des meilleurs Monégasques cette saison. En revanche, en conférence de presse, il chauffe, accusant les journalistes d'être malveillants avec son travail quand ils constatent que le «projet» de l'ASM se matérialise en purge sur le terrain. Jardim, c'est l'employé du mois douze fois dans l'année. Avant la saison qui s'est achevée samedi, il a vu disparaître ses deux meilleurs défenseurs (Aymen Abdennour, Layvin Kurzawa), son milieu le plus bankable (Geoffrey Kondogbia) et toute l'attaque (Anthony Martial, Dimitar Berbatov et Yannick Ferreira Carrasco). Avec eux, Monaco s'était classé 3e. Et sans eux ? 3e aussi. En avril, le gardien Danijel Subasic posait la question : «Personne ne le dit mais qui résisterait à tous ces départs ?» Jardim. Qui s'est arrangé de la palanquée de joueurs lusophones au rendement contestable, source de tension avec les francophones de l'équipe ? Jardim. Quand il a débarqué depuis le Sporting de Lisbonne, Jardim était décrit comme un esthète. Après deux saisons, il est le technicien le plus austère de France, ce qui n'est pas peu dire dans un championnat aussi physique et fermé. Ses dirigeants voulaient des résultats ? Voilà des résultats.
La «remontada» lilloise et le temps du foot
Relégable cet automne, le Lille olympique sporting club a arraché (1-0) la 5e place et sa qualification en Ligue Europa samedi, au stade Geoffroy-Guichard de Saint-Etienne, qui l'accompagnera sur le front européen en cas de victoire du Paris-SG le week-end prochain en finale de Coupe de France devant Marseille. Comment les Nordistes ont-ils retourné la situation ? Leur nouveau coach, Frédéric Antonetti, n'était pas d'humeur à raconter des histoires après le match : «Le mercato d'hiver a fait la différence. J'ai pu faire des ajustements et la venue de nouveaux joueurs a imposé une concurrence dans l'effectif.»
Samedi, les trois attaquants étaient là depuis trois mois : Rony Lopes (20 ans), prêté par Monaco et dont le potentiel apparaît prodigieux ; Morgan Amalfitano (31 ans), plus de 350 matchs au compteur et une place de titulaire à l'Olympique de Marseille sous la direction de Didier Deschamps ; Ederzito António Macedo Lopes (28 ans) dit Eder, 28 sélections avec le Portugal et 6 buts pour 4 passes décisives en 13 matchs de Ligue 1 - un ratio prodigieux pour un joueur en période d'acclimatation. C'est l'histoire secrète de la Ligue 1 : ces sauvetages prestement montés avec des types que l'on ne peut pas se payer à l'année et qui s'évanouissent le lendemain de la dernière journée, un peu comme s'ils n'avaient jamais été là. Voilà le foot français en 2016 : quatre mois et puis s'en va. Ceux qui investissent sur la formation ou parlent de «projet à long terme» peuvent méditer.
Steven Fletcher, saveur sucrée
L'OM a commencé sa saison avec un seul attaquant de pointe, Michy Batshuayi. A ses supporteurs, le club en a promis un supplémentaire pour cet hiver, en maintenant l'illusion d'avoir déjà plein d'idées en tête. A sec, il a ramené Steven Fletcher, buteur samedi à Troyes (1-1), dans les derniers instants du mercato. Un Ecossais barbu de 29 ans, remplaçant à Sunderland (autant dire nulle part) mais «suivi par le Real Madrid il y a huit ans», s'est-on entendu expliqué - c'était vrai en plus. La touche sucrée pour rassurer les supporteurs furax.
Au moment où Fletcher arrive, Marseille est 10e, son fond de jeu est infâme et l'Ecossais a inscrit quatre buts depuis le début de la saison - un tueur au regard d'autres attaquants à un ou deux buts par an prospectés par la direction phocéenne. Le public marseillais a trouvé des bons côtés à Fletcher : la hargne, la technique, l'altruisme et une complémentarité possible avec Batshuayi sur le front de l'attaque. Après, il n'est pas très adroit. Mais le coach espagnol de l'OM, Michel, lui trouvait une qualité majeure : s'il le fait jouer, il peut sortir Batshuayi de l'équipe et emmerder son président, Vincent Labrune, lequel est proche de l'agent de l'attaquant belge. Fletcher a inscrit un fort joli but à Troyes samedi, son second en Ligue 1, auxquels il faut ajouter un pion en Coupe de France contre une équipe amatrice. Avant de rater un penalty face aux Aubois qui aurait pu permettre à l'OM de finir 9e au lieu de 13e : 2,2 millions de droits télé en moins sur le dos de l'Ecossais. Bad luck.
La Gazélec d’Ajaccio, la Belle histoire secrète
Avant de sauver sa tête à la régulière (3-2) à Angers sur le terrain, le Toulouse FC entraîné par Pascal Dupraz avait gagné une autre bataille : celle qui se joue dans les médias, la nature exubérante du Savoyard et la situation désespérée du club haut-garonnais (10 points de retard sur le premier non relégable en mars) ayant drainé un courant de sympathie excédant de beaucoup le Sud-Ouest. Il faudra s'en souvenir : c'est en ouvrant le club à tous les vents (la fin des entraînements à huis clos ou des joueurs mis au secret) et en communiquant de façon transparente sur ce qu'il était en train de faire que Dupraz a inversé la tendance. La belle histoire était pourtant ailleurs. Quand le Téf affichait un budget d'une trentaine de millions pour la saison, le Gazélec d'Ajaccio en avait la moitié. Même le pire président du monde étant fichu de récolter avec le différentiel - l'argent permet d'acheter des joueurs, les joueurs permettent de gagner les matchs - les 4 points qui ont manqué aux Corses pour se maintenir. Ajaccio a joué le coup avec une équipe attachante : des pros ayant roulé leur bosse pendant une quinzaine d'années (David Ducourtioux, Jérémie Bréchet) mélangés à des joueurs (Mohamed Larbi, Alexandre Coeff, John Tshibumbu) donnés plus ou moins perdus pour leur art. Battu à Lorient (0-1) samedi, loin des éclats de voix de Dupraz («Les joueurs ont été héroïques… Quand Martin [Braithwaite] a raté le penalty, on l'a pris dans nos bras…») à Angers, l'entraîneur d'Ajaccio, Thierry Laurey, tirait le rideau discrètement : «En deuxième partie de saison, on a fait beaucoup d'efforts pour pas grand-chose. Depuis fin janvier, on a fait des matchs avec de grosses dépenses d'énergie mais trop d'erreurs nous ont plombés. Je reste persuadé qu'il y avait matière à faire beaucoup mieux.»