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Analyse

Saracens-Racing 92 : même les riches doivent être patients

Retour sur la finale de samedi en Coupe d'Europe de rugby, qui a vu les riches Anglais écraser les fortunés Franciliens.
Lors de la finale de la Coupe d'Europe entre le Racing 92 et Saracens, samedi. (Photo Jeff Pachoud. AFP)
publié le 15 mai 2016 à 17h49

Samedi après-midi, le Racing 92 s'est logiquement incliné face aux Saracens (21-9). Après le match, Laurent Labit, co-entraîneur du club des Hauts-de-Seine, a rappelé une évidence sportive : en dépit de la défaite, son équipe est devenue la deuxième meilleure équipe d'Europe. Sans se faire d'illusion en l'énonçant. Car il sait que ça ne fera pas sortir les siens de cette espèce de sas, où les clubs riches qui s'assument mais tardent à gagner un titre majeur doivent composer avec le regard taquin des autres. Un peu comme l'aristo austère, dont les voisins se demandent à quoi sert sa fortune tellement sa vie a l'air triste. Pas de trophée, donc pas de tampon «tu as le droit d'être riche, fais ta vie, vieux», donc pas de reconnaissance totale. A ce niveau, ça dépasse les logiques sportives.

A vingt-cinq minutes de la fin du match, on avait déjà commencé à griffonner quelques notes sur la défaite du Racing. Notre voisin en tribune de presse aussi, qui avait déjà bien avancé une intro pour dire à quel point la marche était trop haute - on ne voulait pas regarder son écran, c’était un accident (pardon). Rien à voir avec un quelconque art divinatoire, simplement quelque chose de l’ordre de la certitude : dès le début du match, c’est comme si les Français s’étaient mis en tête de défoncer une porte blindée avec leurs épaules.

Les Anglais étaient plus forts, plus propres et moins maladroits. Ils se sont contentés de maîtriser, avec tout ce que cela sous-entend sur la qualité du spectacle. Aucun essai, juste des pénalités et une question qui nous a traversé l’esprit au paroxysme de cette maîtrise : c’est donc ça que propose le rugby à XV en finale de la plus prestigieuse des compétitions européennes ? S’ensuivit une pensée type prise de résolution : on va peut-être arrêter de sous-estimer les cousins du rugby à 7.

Saracens, à la recherche de fans

De toute façon, toute la littérature autour du Racing et ses hommes clés capables de faire la différence est vite partie en cacahuètes : blessés, Maxime Machenaud (à la 22e) et Dan Carter (à la 42e) - la charnière de l'équipe, donc - ont dû laisser leur place. La réalité du terrain. Dans la soirée, Jacky Lorenzetti, le boss, admettra avoir caché à la presse les pépins de Carter, sa superstar qui a donc commencé la partie sur une patte.

C’était la première finale européenne du club francilien. La seconde pour les Anglais, qui atteignent systématiquement le dernier carré depuis trois ans. Eux aussi ont beaucoup de sous et souffrent d’un déficit de popularité chez eux, au point d’organiser il y a quelques années des campagnes dans les écoles pour trouver des fans. Leur quête de devenir riches, beaux et reconnus a commencé en 1995, année où Nigel Wray, homme d’affaires, a mis la main sur les Sarries, là où celle du Racing 92 version «start-up» date de dix ans à peine. D’un côté, ils faisaient la queue avant.

Il reste le Top 14 pour les Franciliens. Ce serait cohérent de gagner son championnat, avant de viser plus gros. Il n’y aurait sportivement aucune honte de finir à poil, mais le regard des autres se fout de concepts comme «l’équipe a progressé», «on n'arrive pas en finale d’une Coupe d’Europe par hasard» ou «il faut savoir perdre pour gagner». Car le regard des autres oppose une question à tous ces arguments : à quoi ça sert d'avoir des sous alors ?

Une heure et demie après la rencontre, on a croisé Jacky Lorenzetti, le président du Racing. Sonné, forcément. Le boss du Racing attendait l'ascenseur qui, ce week-end, mettait plus de temps que d'habitude à arriver dans le sous-sol du Parc Olympique de Lyon, où s'est disputée la rencontre. Disons qu'en sport, même les riches doivent parfois attendre pour grimper.