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Fifa Nostra : Blatter et d'ex-collaborateurs se seraient partagés 80 millions de dollars

La fédération internationale de foot a révélé que son ancien président s'en était mis plein les poches au cours des dernières années de son mandat.

Sepp Blatter à Zurich en mai 2015 (Photo Ruben Sprich. Reuters)
Publié le 03/06/2016 à 16h11

Mais quel génie a écrit le scénario du Fifagate, dont les épisodes, à rythme irrégulier depuis plus d'un an, viennent révéler les turpitudes de ceux qui gouvernent le sport préféré des hommes? Vendredi la Fédération internationale de foot (Fifa) a révélé que trois de ses ex-responsables, et pas des moindres puisqu'il s'agit de Sepp Blatter, son ancien président, Jérôme Valcke et Markus Kattner (ex-secrétaire général et secrétaire général adjoint) ont profité de leurs fonctions pour empocher 80 millions de dollars, «dans un effort coordonné d'enrichissement personnel» à travers contrats et compensations, au cours des 5 dernières années,

La Fifa, basée à Zurich, a indiqué avoir livré ces informations à la justice suisse et va les partager avec la justice américaine, qui avait lancé l'an dernier le blitzkrieg inaugural de la saga. «Certains contrats contiennent des dispositions qui semblent violer le droit suisse», expose encore la Fifa au sujet des avenants et systèmes de bonus de ses trois anciens dirigeants. «Il apparaît un effort coordonné par trois anciens hauts responsables de la Fifa pour s'enrichir par des augmentations annuelles des salaires, des primes liées à la Coupe du monde et d'autres avenants pour un total de 80 millions de dollars sur les cinq dernières années.»  Et la Fifa de donner des exemples. Le 30 avril 2011, Jérôme Valcke (secrétaire général) et Markus Kattner (secrétaire général adjoint) «ont reçu des prolongations de contrat de 8,5 ans jusqu'en 2019» avec «des primes de départ généreuses leur garantissant le paiement intégral, jusqu'à 17,8 millions de dollars et 9,9 millions de dollars respectivement, dans le cas où leur emploi avec la Fifa s'arrêtait, si M. Blatter n'était pas réélu».

Le 1 décembre 2010, Blatter, Valcke et Kattner «reçoivent 23,4 millions de dollars de primes spéciales pour la Coupe du monde 2010 en Afrique du Sud», qui sont «octroyées rétroactivement - quatre mois après la fin de la Coupe du monde - et apparemment sans une disposition du contrat sous-jacent stipulant ces primes».

Blatter est actuellement suspendu pour six ans de toute activité liée au football dans une autre affaire, celle du fameux paiement controversé de 1,8 millions d’euros à Michel Platini, ex-président de l’UEFA, suspendu pour quatre ans. Valcke a été limogé de la Fifa pour son implication présumée dans une revente au marché noir de billets et est suspendu pour 12 ans de toute activité liée au football. Kattner avait été remercié le 23 mai par la Fifa.

«Manquements»

Ces révélations sont intervenues alors que l'on avait appris quelques heures plus tôt, que la justice suisse avait perquisitionné les ex-bureaux de Kattner jeudi, et que des journaux allemands accusent le nouvea patron de la Fifa, Gianni Infantino, d'avoir voulu disparaître des enregistrements compromettants.

«La crise est terminée», affirmait Infantino le 13 mai lors du congrès de la Fifa à Mexico. L'Italo-Suisse de 46 ans s'est probablement un peu avancé. Dix jours plus tard, on apprenait le licenciement de Kattner. Cet Allemand de 45 ans, directeur financier, secrétaire général adjoint puis secrétaire général par intérim, était  suspecté par la Fifa de «manquements» financiers en lien avec ses fonctions.

L'état de grâce est fini pour Infantino

Gianni Infantino, élu le 26 février, n'est pas concerné par cette enquête, mais son état de grâce est bel et bien terminé. Il y a quelques jours, le Frankfurter Allgemeine Zeitung affirmait qu'il a refusé le salaire qui lui a été proposé, le jugeant insuffisant. Puis le journal allemand Die Welt a assuré jeudi qu'Infantino pourrait faire l'objet d'une procédure de la justice interne de la Fifa. Selon le quotidien, Infantino  encourrait  une suspension provisoire de 90 jours pour avoir demandé dans des courriels la destruction de l'enregistrement des minutes où la question de son salaire était évoquée lors dernier Conseil (gouvernement de la Fifa) tenu à Mexico. «Aucune procédure formelle n'a été ouverte contre M. Infantino», a répondu vendredi Roman Geiser, porte-parole de la commission d'éthique, la justice interne de la Fifa. Précisant que «l'échange de mails se référait à la destruction d'une copie des enregistrements originaux stockés de façon non conforme sur un serveur local» et ne concernait «pas l'enregistrement officiel archivé». «Ce fichier existe et est conservé à la Fifa», ajoute-t-il.

Infantino n’a pas encore atteint la barre des 100 jours de mandat, mais le contexte est déjà tendu autour de lui. Au lendemain du premier congrès qu’il présidait, à Mexico, Domenico Scala, président de la commission d’audit et de conformité de la Fifa, a démissionné. Ce personnage central des réformes engagées depuis les révélations des scandales à grande échelle, fin mai 2015, dénonçait en claquant la porte la remise en cause de l’indépendance des organes d’enquêtes internes.

Lors du même congrès, Infantino a pris tout le monde de court, y compris au sein de la Fifa, en annonçant la nomination au poste de secrétaire général de la Sénégalaise Fatma Samba Diouf Samoura. A 54 ans, cette diplomate qui a passé 21 ans aux Nations Unies est certes une amie de l'ex-star du football Roger Milla mais n'a aucune expérience de la gestion d'une organisation sportive, ce que d'aucuns lui reprochent déjà, alors qu'elle ne prendra ses fonctions que le 15 juin. «Il y a beaucoup de gens dans la nature qui ne vont pas rater Infantino», explique un ancien responsable de la Fifa, sous couvert d'anonymat. Une allusion à Scala mais aussi à Kattner. «Infantino est un tacticien mais pas un stratège», juge un autre ancien responsable. L'avenir dira si Blatter n'a pas trouvé en la personne de son successeur, son maître en manigances et coups fourrés. Ce qui serait le rebondissement le plus improbable du Fifagate.