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Euro

Albanie-Suisse, une partie pour les frères patries

L’histoire de Taulant et Granit Xhaka, adversaires dimanche, symbolise les rapports entre ces deux pays, dont les sélections comptent de nombreux binationaux.
Granit Xhaka, le 29 mars 2016, à Zurich (Photo FABRICE COFFRINI. AFP)
publié le 10 juin 2016 à 23h11

C’est le premier gros storytelling de ce début d’Euro. Samedi, à l’occasion d’Albanie-Suisse, les Xhaka, Taulant (25 ans) et Granit (23 ans), deux frangins d’origine kosovare, vont jouer l’un contre l’autre. Archi-improbable, quoique : juste après le tirage au sort, à l’automne, des médias avaient parlé d’un match Albanie A-Albanie B, en raison de la petite colonie originaire du coin dans la sélection helvète - six au total.

En 1991, la famille Xhaka fuit la guerre qui fait rage dans les Balkans. Taulant, né à Pristina (capitale du Kosovo), a déjà quelques mois. Granit vient au monde un an et demi plus tard, à Bâle, en Suisse. Les deux font carrière dans le football et débutent en pro dans le même club. C’est beau, mais la nature est méchante : souvent, ça donne un frère doué et son double en moins bien. Dans l’ombre, Taulant, l’aîné, qui a galéré des années avant de trouver sa place au FC Bâle, dans le championnat suisse. Un teigneux polyvalent (défenseur ou milieu) qui rêve sur PlayStation, où il s’est mis dans la même équipe que Cristiano Ronaldo. Contrairement à Granit, le petit génie. Teigneux aussi - dans le sens ami des cartons rouges - mais physiquement plus costaud et techniquement doué. Une carrière linéaire. Il explose à Bâle, devient capitaine du Borussia Mönchengladbach (en Allemagne), et sera un milieu d’Arsenal la saison prochaine - un transfert à 45 millions d’euros, le plus gros de l’histoire pour un joueur suisse.

Lui raconte que c’est l’Albanie qui ne l’a pas appelé. Pour le grand frère, c’est l’inverse : la Suisse, qui aurait pu le sélectionner, ne l’a jamais sollicité. Il jouera donc pour son pays de naissance. Aucun risque que les frangins se mettent sur la gueule ou se taclent à la gorge. Depuis le tirage au sort, ils s’envoient des mamours par médias interposés en disant qu’ils ne se feront aucun mal. C’est tout juste si Taulant s’est dit prêt à faire une petite faute à son frangin en cas de gros péril. Ils s’aiment tellement qu’il y a quelques années, ils avaient ouvert une page Facebook commune. Tout cela est d’autant plus harmonieux que ça n’aurait pas fondamentalement dérangé Taulant de jouer pour la Suisse, et vice-versa : quand l’Albanie s’est qualifiée pour le premier Euro de son histoire, Granit a versé une larme - une vraie. C’est un peu l’heure de gloire de Taulant. Sans son petit frangin, qui se serait penché sur son cas ? Le voilà sollicité de tous bords, au point que même des journalistes américains viennent lui demander de raconter son histoire et ce derby.

Car la sélection albanaise, qui dispute son premier Euro, a aussi une colonie venue de Suisse. Ils sont sept avec la double nationalité et dix en tout à avoir grandi là-bas, dont Lorik Cana, l’ancien capitaine de l’OM. Ce qui crée les polémiques habituelles dans ces cas-ci, exactement comme les nôtres, ici en France - l’intégration et tout ça. Avant la Coupe du monde 2014, un tabloïd local avait allumé Granit Xhaka, qui s’était fait «griller» en train de chanter l’hymne albanais du côté de Mönchengladbach. Du coup, il a dû promettre d’apprendre l’hymne helvète histoire d’éteindre le petit feu. Autre possibilité, celle de voir le truc à l’envers : quelque part, c’est aussi Suisse A-Suisse B. Sinon, maman Xhaka soutient la Suisse à 100 % et son mari… les deux.

Groupe A : Albanie-Suisse, à Lens à 15 heures.