Anghel Iordanescu intrigue autant qu’il captive. La singularité de son parcours fait de lui un ovni. L’homme a pas mal bourlingué, mais ne s’est jamais réellement détaché de sa nation chérie. L’amour qu’il porte à la Roumanie est inextinguible. Son nouveau mandat avec la «Nationala» – le troisième de sa carrière – le prouve.
Le natif de Bucarest a impulsé l’âge d’or du football roumain. Avant l’épopée homérique de la «Tricolorii» lors du Mondial 1994, le «Cobra» avait déjà contribué à la renommée du pays d’Europe de l’Est. En tant que joueur et entraîneur. Ou plutôt joueur-entraîneur. Toute l’Europe s’en souvient.
Double casquette
1985. Après 14 saisons au Steaua Bucarest, son club formateur où il s’est forgé une réputation de serial buteur (155 buts en 317 rencontres) au jeu raffiné et ravageur – d’où son surnom, «le Cobra» – et une escapade de deux ans en Grèce, à l’OFI Crète, Iordanescu rentre au bercail. Le bougre s’autorise une dernière folie sur le pré, à 35 ans. En parallèle, il seconde le coach Emeric Jenei. Une double fonction qui donne lieu à une situation ubuesque, le 7 mai 1986 à Séville. Ce soir-là, l’entraîneur de l’escouade roumaine fait entrer son adjoint, en finale de Coupe des clubs champions – ancêtre de la Ligue des champions ! Le Steaua s’adjuge le trophée aux dépens du FC Barcelone, grandissime favori. Une première pour une équipe d’Europe de l’Est.
Képi
Suivront plusieurs années de rodage aux fonctions d’entraîneur principal, entre le Steaua et Anorthosis (Chypre). Ses bons états de service (quadruple champion de Roumanie, double vainqueur de la Coupe, et surtout finaliste malheureux contre le Milan AC de la Coupe des clubs champions 1989) lui permettent d’accéder au poste de sélectionneur en 1993. La greffe prend, dès l’année suivante. Aux Etats-Unis, Iordanescu drive une équipe roumaine totalement décomplexée – et magnifiée par le «Maradona des Carpates», Gheorghe Hagi – jusqu’aux quarts de finale. Le meilleur buteur de l’histoire du Steaua acquiert une notoriété planétaire. Déjà nommé colonel de l’armée – une sorte de récompense légitime décernée aux sportifs – pour l’ensemble de son œuvre sur les terrains, Iordanescu est promu général en rentrant au pays. Certains galonnés montent au créneau. Ils désapprouvent une telle décoration pour un entraîneur de foot sans références militaires.
Porté aux nues
En Roumanie, le gradé a un poids décisionnel certain. Ses sorties médiatiques ont un impact sur toute la société. Son aura dépasse largement le simple cadre sportif. En mars 1996, il laisse son poste vacant à quelques mois de l'Euro. Une manière, pour l'intéressé, de protester contre corruption et matchs truqués : «Ma démission était une manière de tirer la sonnette d'alarme, d'essayer de mettre un terme à des pratiques qui minent notre football.» Un aperçu de son influence ? Les hautes sphères du gouvernement, le chef de l'Etat, Ion Iliescu, en tête, veulent le convaincre de revenir sur sa décision. C'est ce dernier qui aurait conditionné la volte-face du sélectionneur national. Le journal Sport d'asséner : «Monsieur Iordanescu a un contrat avec le peuple et non avec la Fédération.» Loin d'être incorrect.
Sans faux-semblants
10 juin 1996, Championnat d'Europe, Angleterre. La Roumanie du sélectionneur Iordanescu perd 1 à 0 face à la France, sur une bévue monumentale de son portier Bogdan Stelea. Après la rencontre, le technicien fulmine et dézingue le gardien de but du Steaua : «A ce niveau, une erreur de ce type est impardonnable. Si nous avons perdu, c'est entièrement à cause de lui. Ce n'est pas la première erreur grave de Stelea, mais c'est la dernière. Il va être très difficile pour l'équipe de se remettre d'une telle blessure psychologique.» Devin ou pas, la Roumanie sera éliminée dès le premier tour de la compétition. Cette sortie médiatique du «Puiu» – le général en roumain – montre sa franchise et sa fermeté. Enfoncer publiquement un des siens ne le dérange absolument pas.
Allers-retours
L’éviction en huitièmes de la Coupe du monde 98 avec la Roumanie pousse Iordanescu à tenter de nouvelles aventures. Durant une décennie, il multiplie les expériences de courte durée à l’étranger : sélection grecque, Arabie Saoudite (Al-Hilal, Al-Ittihad), Emirats Arabes Unis (Al-Aïn). Tout en subvenant aux besoins de son pays (deuxième mandat de sélectionneur entre 2002 à 2004), et de sa ville de naissance – il entraîne le Rapid Bucarest en 2000.
Engagement politique
Figure emblématique dans son pays, le «Cobra» en profite pour répondre favorablement aux sollicitations politiques, en février 2008. Pendant quatre ans, il occupe, dans le département de Ilkov, au nord de Bucarest, un poste de sénateur du parti social-démocrate (PSD). Au moment de sa prise de fonction, Iordanescu assure n'avoir «jamais imaginé devenir sénateur un jour», avant de parler d'un «nouveau défi à relever».
Ce vendredi, face à la France, nouveau challenge de taille pour celui qui a été auréolé du titre de «meilleur entraîneur roumain du siècle». Vingt ans jour pour jour après la défaite inaugurale face aux Bleus à l'Euro anglais, Anghel Iordanescu a l'occasion de prendre sa revanche. Avant la rencontre, il s'est montré réaliste dans les colonnes du journal roumain Libertatea – «La France est nettement supérieure, mais cela ne veut pas dire que nous soyons une proie facile». Après tout, le cobra peut mordre, même décapité.