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Libération

Chiellini le «Gorille»

Publié le 16/06/2016 à 20h11

Selon le point de vue adopté (tifoso enamouré, adversaire malmené, arbitre abusé), on peut projeter sur les traits de gargouille de Giorgio Chiellini, 31 ans, l’image du bon, de la brute ou du truand. A défaut de trancher lui-même, il a fait sien son surnom le plus affectueux («le Gorille»), que l’on trouve également décliné en appli ludique inspirée de ses faits de gloire, destinée à une communauté de fans qui excède vastement le périmètre des supporteurs turinois.

Cela, malgré l’indécrottable aura de molosse que Chiellini se traîne, rugueuse, cogneuse, truqueuse, dont les talents ne s’épanouissent que sur le fil de la règle, entre les marges d’erreur et d’appréciation de l’arbitrage. Un dévouement éperdu à la cause de l’équipe le conduit à se salir les mains plus qu’à son tour, en expert de la «faute tactique», qui coupe court à l’offensive adverse sans lui valoir l’expulsion. Quitte, la saison dernière en Ligue des champions, à saisir le ballon à pleine pogne alors qu’une attaque de Monaco filait vers son but et que lui se trouvait à terre - un peu de l’amère élimination monégasque se sera jouée là.

Chiellini a de qui tenir : en sélection, il a relayé Materazzi, l’homme qui vrilla, en 2006, la tournure de l’ultime match de la carrière de Zidane - accessoirement une finale de Coupe du monde. Ce qu’en pensent les caméras, à qui, a priori, rien n’échappe de ses méfaits glissés entre deux tacles au rasoir ? Chiellini sait en jouer : gorille, oui, mais un gorille souriant, enjôleur, qui s’emploie sur le terrain à habiller la rouerie d’ingénuité, et au dehors à maquiller le tout d’autodérision. Malgré l’aise extrême qu’il manifeste depuis douze ans sous le maillot de la Juve, il ne s’éternisera peut-être pas dans le foot une fois les crampons raccrochés. Il détient pour l’avenir un master d’économie et quelques investissements immobiliers - aux dernières nouvelles, son coéquipier de sélection Ciro Immobile, qui joue pour le club turinois rival, était son locataire (les affaires sont les affaires).

Son sport perdrait avec lui l'une des ses plus troubles figures : un faux monstre et faux gentil indiscernablement partagé entre la lutte à mort et la vaste blague, capable de coupler pareille culture de la gagne, soucieuse d'aucune morale sinon celle des vainqueurs, avec le semblant de la plus sauvage innocence. J.G.