Il ne faut jamais sous-estimer l’impact et la toxicité possible d’une troisième rencontre de poule pour une sélection qui s’est qualifiée dès les deux premiers matchs. Le foot a basculé depuis longtemps dans une histoire de gains marginaux : l’élan, la bienveillance ou non du contexte, la récurrence des questions qui fâchent lors des conférences de presse, ce que le joueur apprend lui-même - et ses équipiers - en toutes circonstances peuvent, sinon changer la donne du tout au tout, du moins obscurcir le quotidien d’une équipe ; vingt-trois gars et une dizaine de membres du staff vivant les uns sur les autres (ce qui crée un effet loupe) pendant deux moins, préparation comprise.
Révolte permanente
Tout ceci pour dire que le nul poussif (0-0) tiré par les Bleus dimanche soir au stade Pierre-Mauroy de Villeneuve-d'Ascq face à la sélection suisse ne doit pas être minimisé. Le sélectionneur, Didier Deschamps, s'était résolu à faire souffler quelques titulaires - quatre changements sur ce qu'on suppose être son équipe-type, Dimitri Payet «conservé dans la glace pour qu'il ne lui arrive rien» (Deschamps), c'est-à-dire sur le banc - mais il avait conservé l'essentiel, la source de tous ses problèmes et la mère de toutes ses solutions à venir : Paul Pogba.
Sur le terrain, les Bleus ont eu affaire à une formation suisse joueuse, collective, agitée, animée par un état de révolte permanent envers l'arbitrage du Slovène Damir Skomina. A la fois entraînés par les élans vitaux de son adversaire et incapable de poser le jeu (ou de façon moins stable que les Suisses), les Bleus ont d'abord tout fait sur le fil, aspiré par le joueur de la Juventus de Turin. Paul Pogba fut royal au bar. Il y eut ses deux frappes (une du droit à la 12e minute, une du gauche à la 17e) qui sont parties lécher la barre transversale du gardien helvète, Yann Sommer - mais ça, à la rigueur, ce ne fut rien.
Ce gars-là est seul au monde. Il grimpa sur le dos d’un adversaire devant un arbitre tellement intrigué par la manœuvre que ça lui coupa le sifflet, se retrouvant quelques minutes plus tard aux deux bouts de la même action, claquant un coup d’œil complice au gardien adverse qui vient de sortir une de ses pralines et, plus généralement, il phagocyta l’équipe de France comme il se serait baladé au milieu d’une équipe de baltringues en moins de 15 ans. Impossible, au fond, d’en penser quoi que ce soit : il est à la fois le meilleur et le pire, le jeu même et sa négation puisqu’il satellise les autres. 0-0 aux citrons.
Signes de vie
Et un possible effet pervers, même s’il faut se garder de tirer des plans sur la comète : des équipiers un peu passifs, comme l’a longtemps prouvé leur rendement médiocre sur les coups de pieds arrêtés - loin d’être un exercice balistique ou un exercice soumis à la chance, les coups de pieds arrêtés sont le meilleur indicateur qui soit de l’agressivité et de l’attitude mentale.
A la 63e minute, Deschamps a sorti Payet du congélo. Lequel a allumé la barre dix minutes plus tard : l'un des rares signes de vie qui n'ait pas appartenu à Pogba ou aux Suisses. Cette fois-ci, on n'a pas eu droit au happening tricolore de fin de match : un nul suffisait pour prendre la première place et s'ouvrir le huitième de finale de Lyon, dimanche, ça s'est senti. Les Helvètes deuxièmes du groupe et l'Albanie troisième : elle a battu et éliminé la Roumanie (1-0). Les Albanais peuvent accéder aux huitièmes au titre de meilleurs troisièmes de groupe mais pour le savoir, il faudra attendre.