Samedi, les affaires sérieuses commencent à l'Euro avec le début des 8es de finales. Parce que désormais «c'est la vie ou la mort dans la compétition», dit Jean-Marc Furlan. A 58 ans, le nouvel entraîneur de Brest (Ligue 2) a la (bonne) réputation d'être un esthète, attaché au beau jeu et à la dimension humaine du football. On a décidé de faire un premier bilan de cet Euro avec lui. Il est question des Bleus, mais pas que.
L’équipe de France a terminé invaincue et en tête de son groupe. Dire qu’on est inquiet, en termes de jeu notamment, c’est être trop pessimiste ?
A mon avis, l’équipe de France est capable de donner sa pleine mesure contre des sélections qui prennent le jeu à leur compte. En l’état, sa principale difficulté est de jouer dans une position haute, avec la possession du ballon. Individuellement, elle possède des joueurs qui peuvent aller très vite en contre. Antoine Griezmann, par exemple, joue comme ça avec l’Atlético Madrid, de manière encore plus marquée. Sur notre défaut de fluidité dans le jeu, il s’explique en partie par le fait que les Bleus évoluent aux quatre coins de l’Europe. Là où l’Italie, l’Espagne ou l’Allemagne peuvent se baser sur une ossature de 4 ou 5 joueurs qui évoluent – ou ont évolué – ensemble en club, la France doit composer avec une autre réalité et donc, miser sur le pragmatisme, à défaut de ne pas avoir encore tous les automatismes.
Paul Pogba et Antoine Griezmann, les deux atouts majeurs de l’équipe de France, vont sur le banc dès le second match face à l’Albanie. De loin, ça paraît violent…
On ne sait jamais ce qui se passe à l’intérieur d’un groupe, ou 10% à peine. Mais si le sélectionneur décide à un moment donné de les sortir de l’équipe, c’est pour susciter une réaction. Et au final, cette réaction a été très positive [bonne entrée de Pogba et but de Griezmann]. Cette année, ils ont été extrêmement utilisés, notamment Griezmann qui est allé jusqu’en finale de la Ligue des champions. Beaucoup jouer et briller en même temps, ça ne dure qu’environ six mois maximum sur une saison. Ensuite, le corps et la tête ont besoin d’une pause. Et forcément, il peut y avoir une baisse de régime au cours d’un tournoi qui arrive à ce moment de la saison, une baisse qu’il faut savoir gérer. Préparer un match dans la peau d’un titulaire occasionne un énorme stress et par conséquent, prend beaucoup d’énergie, ce qui est moins le cas pour les remplaçants. Sur ce match-là et à ce moment de la compétition, Didier Deschamps a, semble-t-il, estimé qu’ils seraient plus utiles en tant que jokers. Ça a payé.
Vous connaissez bien Blaise Matuidi pour l’avoir entraîné à Troyes. Là, il cristallise des critiques, il lui est reproché de ne pas assez peser sur le jeu…
Pour être franc, je le voyais être en difficulté avant Pogba et Griezmann. Je craignais ça. Trois ans en jouant autant de matches à un tel rythme, ça n'est pas possible ou bien, ça occasionne une baisse de régime à un moment ou un autre. A la Coupe du monde 2006, Zinédine Zidane a porté l'équipe de France jusqu'en finale. Mais avant ce Mondial, il a eu «la chance» d'être souvent blessé et d'arriver avec moins de matches dans les jambes. Globalement, il fait un tournoi monstrueux – le seul problème, c'est le coup de tête (rires). Dans l'histoire des grands tournois du football, de nombreux joueurs ont brillé parce qu'ils se sont préservés, volontairement ou involontairement, avant la compétition.
Ces baisses de forme permettent à des joueurs de se montrer, à l’image de Dimitri Payet, qui est un peu le messie. Et c’est peut-être une surprise comme celle-là qui paradoxalement, nourrit une inquiétude. Car on en attendait d’autres dans ce rôle-là…
Il y a cinq ou six ans, je vais à Lille avec mon équipe de Troyes. Il était plus jeune. Et en le regardant jouer, je me suis demandé, mais c’est quoi ce gars-là ? Putain, il fait peur. Il avait déjà la classe internationale. Cette saison, il a flingué tous les clubs anglais, qui désormais, le veulent tous. Il faut juste laisser du temps au temps. Pourquoi veut-on que tous nos joueurs soient forts à 20 ans ? Sur dix joueurs forts, deux seulement vont exploser très jeunes parce qu’ils seront plus matures. Les autres, qui ont choisi le mauvais club ou écouté un mauvais conseil, atteindront leur meilleure période entre 27 et 32 ans. C’est aussi ce qui se passe avec Hatem Ben Arfa. Dimitri Payet a beaucoup de revanches à prendre. Il marque contre la Roumanie, puis sort en pleurant. Il a six ou sept années de frustration, qui ont contribué à le hisser à son niveau actuel.
Des équipes vous ont-elles impressionné pour le moment ?
Lors d'une deuxième phase, on peut avoir des groupes en sommeil, dont on ne soupçonne pas la capacité à aller au bout, mais qui montent progressivement en pression. L'Italie m'a étonné, l'Allemagne et l'Espagne ont un jeu passionnant à suivre et l'Angleterre a une équipe ambitieuse, peut-être encore trop jeune. A propos de l'Espagne, la défaite contre la Croatie peut lui être salutaire. Elle peut vexer ses joueurs et leur éviter de tomber dans un certain ronron, en se disant que finalement «ça passe toujours quoiqu'il arrive». A condition de faire en sorte que ça ne soit pas vécu comme un drame.
Et puis en face, c’était la Croatie… Il faut l’admettre : leurs techniciens ont toujours été de grands stratèges. Ils ont une science, une culture du football que l’on n’a pas forcément en France – où l’on est plus au point dans d’autres domaines, comme la formation. On ne se rend pas compte à quel point c’est un lourd travail de construire une sélection qui développe et construit du football, avec toujours ce souci de la bonne passe, du geste et du mouvement justes. C’est simple : quel que soit le sport de ballon, la Croatie est compliquée à jouer. Car, quand bien même il n’y aurait que quinze joueurs dans tout le pays à pratiquer la discipline en question, elle s’en sortirait.
Mais à l’image de la France, le sélectionneur croate doit composer avec des joueurs éparpillés un peu partout…
Il y a toujours des exceptions en football, quoique, historiquement, ils ont dû le faire avant nous. Mais à ce niveau, la culture du football est prédominante.
Qu’est-ce qui explique qu’une équipe comme le pays de Galles termine devant l’Angleterre ?
Le football est populaire parce qu’il permet au plus pauvre ou plus faible d’exister. Parce qu’il y a toujours une part d’incertitude tant marquer un but ou défendre sa cage est quelque chose de plus complexe et indécis qu’il n’y paraît. Sur un mois de tournoi, on peut, avec une équipe solidaire, déstabiliser des sélections supérieures sur le papier. Le pays de Galles a un leader charismatique, en la personne de Gareth Bale, dont on se souviendra d’ores et déjà qu’il a été décisif pour son pays. Dans l’histoire des nations, on a toujours un ou deux leaders qui tirent l’équipe vers le haut et permettent d’augmenter le potentiel des autres. Ces derniers cherchent alors à se mettre à la hauteur, à leur ressembler.
Jean Tigana m’a raconté que lorsqu’il était capitaine de l’équipe de France, Michel Platini faisait toujours en sorte d’être le dernier de la file dans les couloirs, juste avant l’entrée des deux équipes sur la pelouse. Ça lui permettait de regarder les onze adversaires. De passer devant eux. Ça les impressionnait parce qu’ils prenaient conscience qu’ils avaient un client devant. Du coup, ça galvanisait ses coéquipiers.
Le Portugal est l’une des déceptions pour le moment. La faute à ce gourmand de Cristiano Ronaldo, qui crispe les autres ?
C'est Johan Cruyff qui expliquait qu'à la différence de Lionel Messi, Cristiano Ronaldo se foutait que l'un de ses défenseurs soit à la rue. Sa présence crispe les autres – on va le dire comme ça (rires). Dans les tournois internationaux qui passent très vite, il faut transformer son jeu si besoin. S'adapter au contexte, pour donner un coup de main au collectif quoi qu'il arrive. Messi est capable d'aider son équipe, son défenseur à la rue et très vite, d'arrêter de tenter si ça ne passe pas. Ronaldo, bien que tu préfères l'avoir avec toi, est différent parce qu'il reste toujours le même. Ça passe en championnat, moins dans un tournoi qui ne dure que quelques matches. Mais ce n'est pas fini.
A quoi doit-on s’attendre face à la République d’Irlande, contre qui les Bleus partent ultra-favoris ?
La France va devoir prendre l’initiative face à une équipe qui va l’attendre et lui imposer un défi physique. Elle va devoir se créer des occasions et surtout, surveiller ce qui se passe derrière son dos quand les Irlandais vont essayer de partir en contre. Dans un match de Coupe à élimination directe, le statut compte peu finalement. Au-delà du niveau, l’Irlande est un challenge plus intéressant que l’Espagne ou l’Allemagne, dont on connaît le jeu et à mon sens, ont une philosophie de possession qui arrange plus Didier Deschamps.
Vous avez joué en défense centrale. Etes-vous rassuré par celle de l’équipe de France ?
Cela aurait été préférable d'avoir Varane et Koscielny, deux garçons qui ont l'habitude d'évoluer ensemble. Alex Ferguson [l'ancien manager de Manchester United] dit que pour gagner, il faut un back four – deux latéraux et deux arrières centraux – et un gardien très forts. Moi-même, en prônant une philosophie offensive à mon échelle, je pense que sans ça, tu es dans la merde. Quand bien même certains nous expliquent que pour le moment, on n'a rencontré que de petites nations, Adil Rami a du mérite. Il n'est ni le premier choix, ni le second. Il est courageux, il s'arrache. Néanmoins, les blessures et surtout, la mise en place défensive de dernière minute peuvent effectivement être pénalisantes pour la suite. Depuis le début de l'Euro, la défense a montré qu'elle n'était pas toujours la plus rapide, ni la plus habile dans certaines situations, mais quelle nation sortirait indemne avec autant de forfaits ? Mais sachant ça, il peut y avoir un regain de solidarité entre les joueurs pour compenser.