Menu
Libération

Le sale air de la peur pour l’équipe de France

Encore tendus après le match, les joueurs et le sélectionneur ont reconnu être passés près de la sortie et avoir été remués par les Irlandais.
Dans un pub irlandais, à Paris, pendant le match. (Photo Marc Chaumeil)
publié le 26 juin 2016 à 20h21

Ambiance pleine de tendresse entre les journalistes et les Bleus - des premiers vers les seconds - eu égard aux souffrances endurées par des joueurs qui, oui, se sont crus éliminés durant la rencontre finalement gagnée (2-1) face à des Irlandais tatoués de partout - comme on les a vus de près, on témoigne. «Effectivement… dans un match comme ça, je dois dire que…» Blaise Matuidi n'avait plus un poil de sec. Matuidi est un totem : milieu gauche, il est passé milieu droit pour laisser son poste à Paul Pogba. Ce qui traduit une règle que le sélectionneur, Didier Deschamps, connaît bien : quand ça se corse, on sécurise les grands joueurs de l'équipe et on met les autres dans la remorque.

Bon, Matuidi : «Il faut retenir ce qu'on a fait de bien. On donne tout. Après, ça marche plus ou moins bien, mais ça, il faut nous l'accorder.» Le défenseur Adil Rami, toujours un peu sombre dans ces circonstances - il vit plus longtemps que d'autres sous la peur et la tension des matchs : «On a le mental. Ça va être difficile d'aller loin si on n'améliore pas le niveau de jeu, il faut mieux contrôler les matchs, être plus agressif dès le coup d'envoi… On vit comme ça depuis le début. C'est dur.» Pour qui ? Pour lui, au fond : vu depuis le train bleu, Rami est un joueur dont on relativise les déclarations, un peu pour le protéger, un peu aussi parce qu'on se dit qu'il ne pensera pas la même chose une fois arrivé au bout du couloir.

Suiveurs. Alors dimanche, à la mi-temps du match contre l'Irlande, il s'est dit des choses. Deschamps : «C'était subtil. Il fallait les calmer tout en secouant le cocotier. J'ai parlé, oui, et je n'ai pas été le seul. Des joueurs ont parlé et, parmi eux, il y avait des remplaçants, certains n'ont même pas joué depuis le début de la compétition. Quand je vous dis qu'on est un groupe de 23…» Patrice Evra, dont l'ombre tutélaire couvre l'équipe de France depuis des lustres : «A la mi-temps, on était en colère. En colère ! On s'est dit : "On ne peut pas mourir comme ça, pas aujourd'hui, on n'a aucune excuse, ni la chaleur ni je ne sais pas quoi…" Vous savez ce qui m'a le plus énervé ? On est rentrés dans leur jeu. On a envoyé des longs ballons. Mais on est l'équipe de France, quand même ! L'équipe de France ! On doit faire notre truc à nous ! Des passes courtes ! Il faut que nous soyons confiants dans notre football !» Des accents gaulliens.

Deschamps ne mange pas de ce pain-là : plus froid, plus tactique aussi. Il est en rogne : les journalistes français n’en finissent plus d’espionner ses mises en place la veille des matchs pour les mettre dans la presse où les adversaires successifs des Bleus - l’Albanie, la Suisse, l’Irlande - les recueillent lâchement et adaptent leur stratégie respective. Deschamps est-il allé voir dans la presse albanaise si les reporters qui couvrent la sélection sont pris de la même frénésie d’espionnite ? Personne n’a osé lui demander : plus ça va, plus les suiveurs le trouvent intimidant.

Lèche-bottes. Le sélectionneur a fait valser son système à la mi-temps dans le sens de la prise de risque : quatre attaquants (dont deux sur les côtés) plutôt que trois, Antoine Griezmann qui reprend sa position fétiche juste derrière l'attaquant, celle qu'il occupe à l'Atlético Madrid. André-Pierre Gignac a fait le flagorneur, tout en précisant qu'il ne mangeait pas de ce pain-là : «On va m'accuser d'être un lèche-bottes, mais là, le coup tactique du coach…» Sifflet admiratif. Deschamps, agressif : «Dites, je ne suis pas tombé de l'arbre en découvrant subitement comment joue Antoine en club. Mais j'ai des contraintes.» Et une équipe qui change tout le temps ? «Tout le monde change. Tenez, non : les Croates n'ont rien changé. Et ils sont rentrés chez eux samedi», battus par le Portugal (1-0 après prolongation) à Lens. On s'est fait tout petit. En risquant celle-là : les Bleus ont-ils du caractère, à son idée ? Deschamps a fait la moue : «On n'a pas que du caractère, je dirais. Et on ne fait pas tout bien. Mais personne ne fait tout bien dans cet Euro.»