Réflèxes de gardien de hand sur la ligne, sorties explosives dans les pieds ou encore relances impecables jusqu'au rond central : Manuel Neuer, dit «la perche», a une technique hors-normes. Tout part de sa faculté de concentration et d'anticipation, comme nous l'expliquait l'entraîneur des gardiens de Chelsea, Christophe Lollichon : «C'est un garçon qui évite de se mettre en urgence, il est en avance sur l'action. Cette stabilité émotionnelle est une sorte de base.» En 2011, Neuer passe de Shalke au Bayern Munich pour 25 millions d'euros. Depuis, il a tout gagné en club et en sélection - sauf l'Euro - et lancé la hype du gardien allemand en mode golgoth qui participe au jeu (demandez au PSG avec Kevin Trapp).

Gianluigi Buffon est taillé dans le même moule, avec moins de facilités au pied - ça ne veut pas dire qu'il est mauvais - mais peut-être de meilleures aptitudes sur sa ligne et dans l'anticipation. Très longtemps appelé «Superman», on a l'impression que Buffon rajeunit. Que même s'il n'est plus le meilleur, il est resté dans le top 3. En 2001, il est transféré de Parme (où il a débuté en 1995) à la Juventus Turin pour 53 millions d'euros. «Gigi» a tout raflé (même un titre de meilleur gardien du siècle), sauf la Ligue des champions et l'Euro. En mars, il a battu un record d'invincibilité avec la Juve : 929 minutes sans prendre de but en championnat. Aujourd'hui, il estime que Neuer est plus fort que lui. Quand il explique pourquoi, il n'en fait pas une affaire de qualités , ni de talent : «Il est plus jeune que moi.»

Parfois, on se dit que Manuel Neuer est la créature d'un savant fou, à qui l'Allemagne a demandé de fabriquer le gardien le plus fort possible. Depuis cinq ans, il est le meilleur du monde à son poste, avec quelque chose de glacial dans l'attitude. Andréas Köpke, l'ancien portier de la Mannshaft, se souvient d'un match Schalke 04-Bayern Munich en septembre 2011 dans les colonnes du Monde : «Je n'avais jamais vu pareille situation, avec un stade entier qui conspuait et huait Manu. Les supporteurs du Bayern ne l'avaient pas encore accepté, alors que les fans de Schalke étaient en colère car il venait de quitter le club. Malgré cette écrasante pression, il a réalisé l'un des meilleurs matchs de sa carrière.»

Gianluigi Buffon, l'ancêtre de Neuer, a un côté chef d'armée spartiate. S'il le décrit comme «très cool», Peter Schmeichel (l'emblématique gardien de Manchester United) raconte que «Gigi», une fois sur le terrain, voit ses adversaires comme ses pires ennemis. Illustration : son visage pendant l'hymne italien. A chaque parade, la même démesure. Soit il réprimande ses coéquipiers, soit il se tourne vers ses supporteurs et jubile, le poing serré. Une machine increvable qui vise le Mondial 2018 et n'a connu qu'un seul passage à vide en vingt ans de haut niveau : sa dépression, entre décembre 2003 et juin 2004. Il la racontera quelques années plus tard, dans une interview accordée à La Stampa : «Mes jambes se mettaient à trembler à l'improviste. J'étais submergé par le doute. Ce fut vraiment une mauvaise période. Les supporteurs se fichent de savoir comment tu vas. Tu es perçu comme un footballeur fortuné mais personne ne te demande de tes nouvelles.»

Au Mondial 2014, Manuel Neuer a réalisé l'un de ses chefs-d'œuvre en huitièmes face à l'Algérie : 58 ballons touchés, dont 21 en dehors de la surface - avec quelques tacles pour suppléer ses défenseurs à la rue. Sur l'ensemble du tournoi, il a réussi 244 passes (sur 297), soit deux de plus que Lionel Messi, qu'il a rencontré en finale. Neuer joue dans des équipes portées vers l'avant. Au fil des années, il s'est mué en libero avec des gants, chargé de défendre ses cages, sa surface de réparation et l'espace de plus en plus important que laissent ses défenseurs dans leur dos, puisqu'ils jouent de plus en plus haut au Bayern et en sélection. Gigi Buffon est moins «volant» et plus proche de sa ligne. Sa «spéciale», c'est la manchette (un peu comme le volleyeur qui se jette pour sauver la balle du poing). Elle requiert une vitesse d'exécution et des réflexes impeccables. Malgré son 1,91 m, le dernier rempart de la Nazionale a gardé une souplesse et une réactivité exceptionnelles. Parmi ses arrêts de légende, celui contre Inzaghi lors d'un Juve-Milan (2003). Une tête parfaite au ras du poteau et un arrêt encore plus parfait, comme si «Gigi» était au courant de tout depuis le début.