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Libération
Billet

Euro : l’histoire de la défaite

Didier Deschamps console Antoine Griezmann après le coup de sifflet final. (Photo Franck Fife. AFP)
publié le 11 juillet 2016 à 19h11
(mis à jour le 11 juillet 2016 à 22h03)

Drôle de finale que celle de dimanche au Stade de France, perdue par les Bleus (0-1 après prolongation) contre le Portugal. Un remplaçant à zéro minute de jeu durant l'Euro (Christophe Jallet) en larmes au coup de sifflet final, ce qui raconte a posteriori l'unité d'un groupe souvent dominé collectivement (face à la Suisse, l'Eire ou l'Allemagne) sur le terrain durant la compétition. Un Antoine Griezmann dans le dur durant la rencontre (une énorme occasion manquée durant le temps réglementaire, la perte du ballon que les Lusitaniens mettent au fond) qui prend le risque de casser son image de premier de la classe, réfutant en homme l'influence pourtant patente d'une fatigue qui, il est vrai, n'avait aucune raison de frapper les Bleus en épargnant leurs adversaires : «On a joué une finale de l'Euro, il n'y a pas de fatigue dans ces moments-là. Celui qui était fatigué, il n'avait qu'à demander à sortir.» Et un Didier Deschamps inexpressif, le sélectionneur donnant l'impression de regarder ailleurs, sans doute vers le Mondial russe de 2018, mais on ne le jurerait pas non plus.

Hors cas de dopage ou de corruption, la notion d'injustice est délicate à manier dans le sport de haut niveau. Les Bleus auraient pu la dégainer dimanche. Pour le coup franc expédié sur la barre tricolore à la 108minute, source de tous les maux pour la France puisque le gardien, Hugo Lloris, se blessa là-dessus (ce qui peut expliquer sa réaction trop tardive sur le but portugais à la 109e). Pour Laurent Koscielny prenant un carton jaune qui l'empêcha de défendre efficacement une minute plus tard, carton injuste car consécutif à une main… portugaise. Pas un joueur français ne s'est attardé là-dessus. Ils marchent au large, loin du déferlement populaire qu'ils suscitent et d'une opinion publique priée de se faire son idée sans leur aide.

Le fil qui les relie au monde extérieur, à vous, à moi, est ténu : à force d'entendre les cinq mêmes expressions - «engouement extraordinaire», «rendre le public heureux», «donner du bonheur aux gens»… - dans la bouche des intéressés pendant un mois, on a fini par se demander s'ils les avaient appris par cœur ou si c'était la langue française qui, in fine, manquait de mots ou de nuances pour caractériser le lien. A force, on a fini par vivre avec une sorte d'abstraction. Et chacun a fait comme il a pu. TF1 a vendu comme «exclusif» un reportage vidéo sur un joueur réalisé par la Fédération française de foot et mis en ligne sur YouTube dans la foulée. Les supporteurs ont rempli les fan-zones et se sont fait leur propre Griezmann, l'intéressé devant dès lors en montrer suffisamment peu pour ne contredire personne. Pour notre part, on s'est interrogé sur l'étrange paradoxe d'une équipe mise en coupe réglée par Deschamps alors qu'elle n'a pas d'expression collective propre autre que celle de l'effort, ce qui la contraint à épouser les courbes de forme de son joueur dominant du moment. A ce propos, personne ne l'était suffisamment dimanche : c'est la véritable histoire de la défaite.