L'équipe cycliste idéale est garantie sans dopage et néanmoins performante. Une gageure ? Comme d'autres dans le peloton du Tour de France, AG2R La Mondiale essaie de prendre ce nouveau cap, loin des scandales de dopage qui ont pourri ce sport ces dernières années. «On met tous les atouts de notre côté pour performer, l'humain se trouve au centre d'un dispositif innovant et précis», résume Romain Bardet, leader du groupe, actuel 5e du classement général à 4'15" du Britannique Christopher Froome. L'équipe n'a pas le choix, comme le manager général, Vincent Lavenu, l'explique à Libération : «Je suis chef d'entreprise, je dois m'adapter aux contraintes actuelles et à ce qu'on nomme la modernité, pour continuer à faire vivre notre beau projet.» Le docteur Eric Bouvat, médecin de l'équipe, nuance : «Il n'y a pas de réorganisation de nos méthodes de travail, mais une évolution lente.»
L'«évolution»s'est néanmoins accélérée depuis le contrôle positif à l'EPO de leur ex-coéquipier Lloyd Mondory en février 2015 : le sponsor a alors exigé un changement de méthodes. Il est aujourd'hui satisfait puisqu'il a annoncé mardi une prolongation de son partenariat jusqu'en 2020. Mais le virage culturel était amorcé avant l'affaire Mondory, grâce à l'influence du très rigoureux Romain Bardet, 25 ans, «nouvelle génération», qui a proposé l'augmentation des stages en altitude. Mais aussi «qu'on arrête de boire des bières à table», entre autres nouveautés que Libération passe en revue.
L’optimisation
Le Team Sky appelle cet ensemble de procédés et petits détails «gains marginaux» ; les équipes françaises, «optimisation de la performance». Rien de neuf dans un sport qui a souvent cherché à progresser. Mais aujourd'hui, l'amélioration du matériel ou des programmes d'entraînement est devenue un enjeu prioritaire, en même temps que le dopage lourd régresse dans le peloton. Après l'affaire Mondory, les dirigeants d'AG2R ont demandé conseil aux chercheurs de l'université de Lausanne, qui ont mené une étude sociologique sur le cyclisme et en ont tiré une série de préconisations. L'équipe a également recruté Philippe Chevallier, ancien directeur des sports de l'Union cycliste internationale (UCI) et commanditaire de la fameuse étude. L'organigramme évolue : les directeurs sportifs n'ont pas fonction d'entraîneurs (quatre «coachs» ont été engagés et dédiés à cette activité, dont un spécialiste des stages en altitude). Vincent Lavenu pose une limite à cette sophistication de l'équipe et à l'arrivée de scientifiques : «Nous créons de la pluridisciplinarité entre les intervenants, chacun doit partager des savoirs et des informations. Et ne pas oublier que le coureur est au centre de notre dispositif, personne d'autre.»
La récupération
C'est nouveau dans le vélo et c'est plutôt bon signe : les coureurs ont diminué le nombre de jours de compétition. Ils en sont à 76 par an en moyenne chez AG2R La Mondiale. Contre 110 ou 120 il y a trente ans ou encore 90 il y a cinq ou dix ans. Mais ces plages de «repos» ont leur contrepartie : les cyclistes doivent être encore plus performants quand ils ont un dossard sur le dos… Une fois la ligne d'arrivée franchie, tous les détails comptent pour favoriser la récupération. «Il y a quinze ans, on donnait un sandwich aux athlètes, se souvient le Eric Bouvat. Maintenant, on leur sert une collation hyper adaptée et dosée en sucres.» Le protocole d'après-course comprend aussi la récupération au froid (un bain à 10° C pendant dix minutes), un massage (quarante-cinq minutes) et une séance de bottes drainantes (introduire les jambes dans cet appareil pour se faire masser). Bouvat souligne : «Grâce à la récupération, on a de bonnes chances d'avoir un effectif entier qui termine le Tour de France.»
Le médical
Tolérance zéro sur les abus de médicaments. «C'est simple : soit un coureur est malade et requiert un médicament, soit il n'en a pas besoin et il n'est pas question de lui en prescrire», explique Eric Bouvat. Le médecin ne s'estime pas comptable de la performance de ses athlètes : «S'ils obtiennent de bons résultats, tant mieux. Mais mon travail consiste à avoir des patients en bonne santé. J'agis à la manière d'un médecin du travail.» D'où la mise au repos fin juin de Mikaël Cherel, souffrant d'une angine : le coureur est maintenant guéri et épaule Romain Bardet dans la montagne. L'équipe ne laisse plus rien passer depuis le contrôle positif de Mondory. Elle multiplie les rappels sur la prévention des dérives médicamenteuses, pour ne pas tomber dans la culture des cachets, licite certes, mais à terme dangereuse pour la santé, qui avait cours dans le peloton - et se poursuit en partie. Cette intransigeance fait peser un risque toutefois : si l'équipe ne fournit pas elle-même les comprimés pour «tenir le coup», les produits appartenant à cette fameuse «zone grise» du dopage, certains coureurs pourraient être tentés de s'en procurer ailleurs. Mais AG2R La Mondiale résiste : c'est une équipe de vélo, pas un hôpital.
Le recrutement
Plus question de renouveler une erreur de casting. L'inquiétant Carlos Betancur, instable dans son poids et ses performances, a quitté le groupe l'été passé. L'équipe s'appuie désormais sur sa filière officielle, le club amateur de Chambéry Cyclisme Formation, qui lui a déjà fourni 14 jeunes coureurs, dont Bardet et le Luxembourgeois Ben Gastauer, engagés sur ce Tour de France. Ce club d'apprentissage ne se contente pas d'attirer les meilleurs jeunes de France, mais aussi de les façonner pour le cyclisme de haut niveau : sens tactique, variété des terrains de course, goût pour les attaques au panache. Et études supérieures obligatoires (parce qu'il faut aussi penser à la reconversion). Directeur du projet, Loïc Varnet résume : «Nous formons des jeunes cyclistes qui passent à l'âge adulte.» Pour les recrues étrangères à sa filière, AG2R La Mondiale se renseigne sur la probité du coureur et épluche son dossier médical. Philippe Chevallier : « Si nous avons le moindre doute, nous interrompons les négociations.» L'équipe voudrait aller plus loin et obtenir de l'UCI des indications sur le passeport biologique de ses candidats, l'un des révélateurs du dopage. Pour l'instant, la fédération refuse. AG2R La Mondiale tient bon.