C'est l'histoire drôle et tragique d'un homme en slip de bain sur une falaise. Gary Hunt immobile, les bras tendus vers le ciel, fait le vide avant de s'y perdre et se demande secrètement ce qu'il est venu faire ici. «Parfois, quand je suis en haut, je me dis qu'il y a plein d'autres domaines dans la vie. Pourquoi je me mets dans cette situation ?» Sous ses pieds l'attendent 27 mètres de chute libre, une danse aérienne millimétrée, puis le choc avec la surface de l'eau à plus de 85 km/h. Il sait que la moindre faute peut lui briser les os. A cette hauteur, l'équivalent d'un immeuble de huit étages, atterrir la tête la première serait trop risqué. Les jambes d'abord ou c'est l'hôpital. «Dans les moments de fatigue, c'est très facile de reculer, de céder aux pensées négatives. Mon but est de les bloquer. Toutes les excuses sont bonnes pour ne pas sauter.»
Gary Hunt a des yeux bleus timides et son calme désarme. Il rougit d'en dire trop, ne monte jamais le ton et s'exprime d'une voix claire dans un français parfait. Ce Britannique de 32 ans au physique d'adolescent ressemble à un bon élève, sage et prudent. Du genre à ne pas oublier de porter un casque quand il arrive, perché sur un vélo, avant l'interview. Mais il est aussi l'un des meilleurs plongeurs de haut vol (high diving) de la planète. Vainqueur de la Coupe du monde 2016 à Abou Dhabi, il a remporté cinq fois les World Series de Red Bull. Ce sport extrême, pratiqué en milieu naturel, a pris son envol médiatique après que la marque de boissons énergisantes a décidé de l'intégrer à sa puissante machine marketing. Pour l'occasion, elle lui a même donné un autre nom : cliff diving («plongeon de falaise»). Chaque année depuis 2009, l'entreprise organise des championnats en série à travers le globe. La prochaine étape se tient samedi à la tour Saint-Nicolas de La Rochelle (Charente-Maritime), où Gary Hunt aimerait tenter le saut le plus difficile de la discipline (triple salto avant, quadruple vrille et demie). Son premier essai en juin, au Texas, lui avait coûté le podium. A l'entraînement, dans les piscines, les plongeoirs ne sont pas assez élevés. Il lui faut répéter chaque figure une par une, les reconstituer dans sa tête une fois en haut, puis s'élancer. Le rendu final n'est visible qu'en compétition.
Depuis six ans, l'athlète sans sponsor a posé ses valises dans l'Hexagone. Il s'entraîne et habite à Montreuil (Seine-Saint-Denis), avec Sabine, une Française croisée en 2009 à Walygator, un parc d'attractions lorrain. Elle faisait Jane et lui Tarzan, elle présentait le show aquatique, lui se jetait à l'eau. Car avant d'être un champion, Gary Hunt est un homme de spectacle. C'est par cette porte qu'il est entré dans l'univers du high diving, il y a dix ans, abandonnant le plongeon classique, domaine dans lequel il n'a jamais vraiment fait partie des meilleurs. Entre deux compétitions, le jeune homme travaille pour une société qui organise des représentations dans des parcs à thème. Aujourd'hui, même si l'argent des victoires lui suffit largement pour passer l'hiver, il y participe encore occasionnellement, pour le plaisir. «Je ne pourrai pas plonger jusqu'à 50 ans. Après ma carrière j'aimerais devenir clown, monter un numéro. C'est un art corporel, et mon corps, je le connais parfaitement. Je jongle aussi beaucoup. Ça me sert à me concentrer avant les compétitions.»
Lors de notre rencontre à la piscine de Montreuil, le grand enfant se réveille quand le photographe lui demande de jouer dans cet endroit qu’il connaît si bien. Monter sur un muret pour poser, les bras en croix, en tenue de bain face à la baie vitrée qui donne sur les maisons du quartier ? No problem. Escalader le toboggan géant recouvert de lierre ? Pas besoin de demander deux fois. Plonger en faisant le kéké ? Il ne s’arrête plus… Quand tout est fini, comme un comédien qui sort de scène, il redevient lui-même, stoïque et apaisé.
Gary Hunt est un mystère qui ne se plaint de rien. Né à Londres dans une famille relativement modeste, il a grandi à Leeds avec ses deux grandes sœurs et ses parents, qui se sont séparés quand il avait 16 ans. «Ça n'a pas été trop difficile pour moi.» La mère, une ancienne aide-soignante de l'armée, part à Southampton avec ses trois enfants. Le père, manager dans une entreprise de télécoms, reste à Leeds. «Il est mort d'un cancer quand j'avais 20 ans. C'était quelqu'un qui travaillait beaucoup, il était très angoissé. Je l'ai ressenti et je me suis promis que le stress de mon boulot n'affecterait jamais ma vie.» C'est peut-être un peu grâce à ce père, fan de natation, que Gary s'est retrouvé les pieds dans l'eau. Ses sœurs et lui passent leur temps à la piscine. Un jour, le petit nageur regarde les plongeurs dans l'autre bassin et veut les rejoindre. A 9 ans, il fait ses premiers sauts et ne s'arrêtera plus. L'eau envahit tout, elle prend une place immense. «Je me souviens qu'à une époque, on se levait à l'aube pour l'entraînement. Ma mère nous emmenait et dormait dans la voiture, avec son sac de couchage.»
A Southampton, il fait des études, un peu à l'aveugle : deux années de maths, une autre de sport, trois de criminologie. Gary ne sait pas où il va mais finit par se trouver. «C'est une personne posée et intelligente, raconte Sabine, sa compagne. A la maison, il passe beaucoup de temps à faire du jardinage, du piano, de la menuiserie. Il a des plaisirs simples et peut passer des heures à fabriquer un saladier en bois… C'est quelqu'un qui me calme énormément.» Gary est un rêveur, la tête en l'air. «Autant il peut avoir un niveau de concentration extrême pendant les compétitions, autant il est capable d'oublier son sac n'importe où», s'amuse Joris, qui fait des spectacles avec lui. Contemplatif, le sportif artiste n'a pas de religion, se dit plutôt de gauche, aimerait supprimer les frontières et était contre le Brexit.
N'allez pas lui dire qu'il joue avec la mort. «Ce n'est pas du tout ce que je recherche. Moi, j'aime la vie, je ne veux pas mourir. Ce sport est un challenge pour m'améliorer. Une fois dans l'eau, quand je prends la première bouffée d'air, je me dis toujours que j'avais raison, qu'il fallait le faire !» Au début des années 2000, Gary regardait beaucoup de vidéos de plongeons avec Gavin Brown, son meilleur ami. C'était son idole, un athlète qu'il admirait plus que tout, à l'époque où lui avait du mal à atteindre les podiums. Gavin voulait être le premier, dans une compétition de high diving, à courir sur la plateforme avant de sauter. Il est mort en 2007 dans un accident de la route, sans avoir eu le temps de réaliser son rêve. C'est l'année où Gary a commencé les entraînements. Alors pour rendre hommage à son ami disparu, quand il est en haut, c'est lui qui prend son élan. Réponse au vide.
1984 Naissance à Londres.
2006 Premier spectacle de plongeon de haut vol.
2010 Première victoire aux Red Bull World Series.
2015 Cinquième victoire aux Red Bull World Series et médaille d'or aux championnats du monde à Kazan.
23 juillet 2016 Etape française des Red Bull World Series à La Rochelle.
Photo Roberto Frankenberg