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portrait

Arthur Vichot: Bleu blanc roues

Ours indépendant, le champion de France de vélo s’est retrouvé en première ligne des hommages lors d’un Tour endeuillé par Nice.
Arthur Vichot, lors du tour de France 2016. (Photo James Startt pour Libération)
publié le 24 juillet 2016 à 17h31

Arthur Vichot est arrivé avec le pas qui traîne et son air un peu Droopy. «Alors, messieurs ? C'est quoi cette tête ? On dirait qu'il y a un enterrement ici !» Une attachée de presse demande au coureur cycliste de se grouiller parce que l'émission Stade 2 l'attend pour un direct : «Pardon, mais je vais prendre le temps. Ils n'ont qu'à diffuser un reportage sur les vélos à moteur !» Ce n'est pas le Tour de France qu'il vient de terminer pour la cinquième fois, mais un événement plus intimiste, le championnat de France sur route. Ce 26 juin, le Franc-Comtois est titré pour la deuxième fois de sa carrière. Une belle journée de fête et de provoc, devant une assemblée de journalistes qui, d'habitude, le trouvent renfrogné. Trois semaines plus tard, un voile s'abat sur Vichot. L'attentat de Nice fait de lui le champion d'une France endeuillée. Son jour de gloire semble déjà loin. Après les obligations du protocole, il avait rejoint ses supporteurs. Son père, fabricant de roues de vélo, sa mère, coiffeuse, les copains venus avec des perruques frisées bleu-blanc-rouge. Tout le monde espérait qu'Arthur gagne ici, sur les routes de sa région, à Vesoul, capitale de la «Haute-Patate» - le tampon de la Poste dit plutôt «Haute-Saône», ce qui fait moins pauvre. Cet after se déroulait comme il les aime, sans tralala. La sangria en jerrycan lui faisait de l'œil, mais il avait trinqué au champagne.

Après Vesoul, il y a Nice. Arthur Vichot se retrouve en première ligne des hommages. Vendredi 15 juillet, il monte avec sa tenue tricolore sur le podium d'arrivée en Ardèche. Lundi, au départ de l'étape, il était au premier rang pour la minute de silence. Pas très à l'aise : «Je suis un citoyen lambda. Malgré mon statut de champion de France, je ne me sens investi d'aucune mission. Ce serait irrespectueux d'y prétendre pour les personnes directement touchées.» Déjà, le 3 juillet, il avait posé avec des cyclistes anglais, américains et allemands sur la plage d'Utah Beach, terme de la première étape d'un Tour archi- commémoratif. Mais depuis Nice, il n'y a plus rien de léger sur l'épreuve cycliste. Arthur Vichot a reçu Libération avant l'horrible 14 Juillet, et sans son maillot symbolique, frusque pesante. Sans rien d'autre qu'une serviette à l'entre-jambes, à l'heure du massage réglementaire. «Je suis nu, parce que je n'ai rien à cacher», blaguait-il. Arthur Vichot déconne avec gravité, et inversement. Les bons jours, il taquine ses collègues au marteau-pilon. L'un de ses meilleurs coups : mettre en vente la voiture de son équipier Thibaut Pinot sur un site de petites annonces, ce qui a donné des dizaines d'appels intéressés… Arthur Vichot a aussi le visage inquiet, agacé et fatigué. Pendant les deux dernières saisons, c'est la mine qu'il a principalement présentée au public. «Je ne vais pas me forcer à rigoler quand ça ne va pas, je ne suis pas là pour mentir sur mes états d'âme.» Blessure au genou et fracture de la clavicule en 2014, virus récalcitrant en 2015, il avait de quoi s'alarmer. «J'ai perdu deux ans, dit-il. J'ai même pensé arrêter le vélo.» Enfin, l'hiver passé, les médecins ont réparé son corps. Arthur Vichot aurait été bien embêté de chercher un nouvel emploi. Au début, il voulait travailler auprès des handicapés, ce à quoi le destine normalement sa licence en fac de sport. Il a changé d'idée, mais il redoute le monde du travail. «Parce que, moi, j'ai toujours du mal à me plier aux règles de la vie en société. Ça remonte à mon enfance. Ma grand-mère m'a donné cette éducation très libre. Quand on partait en vacances dans les Alpes avec les cousins, elle nous laissait jeter des pétards par la fenêtre de la voiture et ça la faisait rire. On avait le droit de rentrer tard et on en a jamais abusé. Alors, moi, les règles…»

Le champion de France de cyclisme est un avatar d'anar : du moment qu'on lui fiche la paix… Thibaut Pinot confirme le côté pas très docile : «Ce mec est un ours.» Julien Pinot, le frère, entraîneur à la FDJ, nuance : «Arthur n'est pas si borné sur les plans d'entraînement. En tout cas, moins que Thibaut…» C'est Vichot qui tranche : «Je n'aime pas les plans tracés d'avance.» Dans ces conditions, il dit s'être toujours «ennuyé» dans le Tour de France, qui manque d'instinct et de folie. Il adore le foot. Son premier sport jusqu'à ce qu'il se convertisse au vélo à 19 ans. L'hiver, il joue encore avec les copains. Puis il boit quelques mirabelles. «Dommage qu'il ait deux pieds gauches !» tacle son ami Florent Hidalgo. De toute façon, Vichot n'est là que pour l'ambiance. Il se rend parfois au stade, supporteur de Dortmund et de ses ambiances bouillonnantes, l'air saturé de fumigènes, le cœur qui bat au gré du vacarme et de la lumière.

Par contraste, «le vélo est un peu triste», regrette le cycliste. Alors, quand le Tour de Franche-Comté amateur est passé dans le coin, il a posé sa journée de repos et il a allumé quelques fumigènes sous le nez du peloton. Avec sa forte tête, on saisit mieux l'exploit de Vichot, coureur cycliste professionnel depuis six ans, fidèle à un patron qui se gargarise de discipline, Marc Madiot. Comment fait-il pour se plier aux codes innombrables de ce sport et de ce milieu ? Comment vit-il dans ce troupeau d'hommes où il ne manque que Panurge ? C'est juré : «Je suis devenu plus sage.» Il admet aussi ce que peu de sportifs osent reconnaître : «Le vélo est davantage mon métier que ma passion. J'ai beaucoup de chance de faire ce que je fais, mais je ne vis plus tout à fait mon rêve.» Il ne donnera pas son salaire : «T'es fou ? Même ma copine ne me pose pas la question !» Mais il n'y a pas que l'argent qui compte. Arthur Vichot pédale aussi pour se «retrouver seul». Il ne croit pas beaucoup en la politique, ni en Dieu («je suis agnostique, j'attends d'être mort pour voir ce qui se passe»). S'il oublie de voter par procuration, ce n'est qu'en partie involontaire. Son grief, qu'il exprime avant la tragédie de Nice : «Je suis dépité par le discours ambiant, alors que la France est un beau pays, celui des droits de l'homme et de la liberté. Tu peux partir de zéro et faire de belles choses dans la vie. Depuis vingt ans, on ne nous parle que de malheurs et de crise.»

Sur le Tour, le champion de France a emporté un livre de 530 pages, sur l'histoire de son pays. Il en est au chapitre Napoléon, «un homme fascinant, parti de rien, avec un héritage intéressant mais aussi beaucoup de sang». Arthur Vichot n'est pas dupe. Il s'élève contre les hypocrisies du sport. Un jour, il trouve des pastilles suspectes devant un terrain dix-huit trous : «Alors, messieurs les golfeurs, ça "pastoche" ?» Comme il voit par delà le cyclisme, Vichot s'agace aussi contre «la haine, les jalousies» et, par extension, le racisme : «Quand je suis chez le concessionnaire, j'ai ma tête d'ado et mon visage imberbe. Les vendeurs ne me prennent pas au sérieux. Alors vous imaginez si j'étais noir ou arabe ?»

26 septembre 1988 Naissance à Colombier-Fontaine (Doubs).

2007 Quitte le foot, débute le vélo.

2010 Passe professionnel à la FDJ. 2013 Champion de France à Lannilis (Finistère).

2014 Promu coleader aux côtés de Thibaut Pinot et Arnaud Démare.

2016 Champion de France à Vesoul (Haute-Saône).

Photo James Startt. ZOOM