Ce Tour de France 2016 aurait du mal à exister, coincé entre l’Euro de foot, qui lui a fait de l’ombre les sept premiers jours de course, et les Jeux olympiques de Rio, qui débuteront deux semaines après l’arrivée sur les Champs-Elysées. Les organisateurs le savaient par avance, le Tour perd de sa portée les années bissextiles. Mais tout s’est empiré le 14 Juillet. La douzième étape, entre Montpellier et le mont Ventoux, devait être un sommet de l’édition 2016 : c’est au contraire la succession d’événements qui a brisé le charme.
11h45 : neutralisation
L'étape s'élance de la place de la Comédie, à Montpellier. Problème : elle doit être amputée des six derniers kilomètres à cause des rafales de vent (jusqu'à 120 km/h) qui sévissent au sommet du mont Ventoux. «Le plus important, c'est la sécurité des coureurs», s'est justifié le directeur de l'épreuve, Christian Prudhomme, la veille au soir. Pas très serein, quand même. Face un journaliste radio, il s'énerve, répondant en substance : «Oui, on verra quand tu organiseras une épreuve cycliste !»
Après-midi : l’extrême-droite en visite
Pour la première fois, un dirigeant du Front national annonce son déplacement sur le Tour de France. Comme une simple spectatrice, Marion Maréchal Le Pen boit une bière au pied du Ventoux et regarde passer la caravane Cochonou. La députée du Vaucluse tient à faire savoir sa présence sur la course, bien qu'elle ne soit pas invitée officielle (les honneurs reviennent ce jour-là à Bruno Le Maire, candidat à la primaire des Républicains). Le Pen poste même sur Twitter une photo d'elle avec le héros le plus populaire du Tour : «Honneur de rencontrer Raymond Poulidor, un de nos plus grands champions !» Pourtant, Poulidor est réputé proche du Parti communiste… Interrogé par Libération, il affirme qu'il ne «savait pas qui était cette dame», puis a vu en elle «une femme qui aime le Tour de France, en aucun cas une politicienne». Raymond botte en touche : «Je ne fais pas de politique.»
15h10 : c’est chaud
Enormément de spectateurs et de cyclistes au pied du Ventoux, à Bédoin (Vaucluse). Au bout de 8 kilomètres de montée, Libération tombe sur le fan club d'Arthur Vichot, qui a fabriqué un morceau de comté et une bouteille d'absinthe en polystyrène. «Hier soir, les douanes voulaient nous verbaliser parce qu'on avait de l'alcool», râle un Franc-comtois. Le public est vraiment bien chaud.
15h44 : mythe
Libération s'installe à l'intérieur du Chalet Reynard, le café-brasserie qui fait face à la ligne d'arrivée et donne son nom à cet endroit du mont Ventoux. Nous écrivons un reportage sur l'histoire de ce lieu et de son patron Juan Chacon.
16h10 : parano
Un témoin affirme que des policiers en civil sont postés dans la forêt en surplomb de la ligne d’arrivée. Information que nous n’avons pas pu vérifier mais le dispositif de sécurité anti-attentats y était très important, avec quasiment plus de gendarmes que de spectateurs.
16h53 : échappée gagnante
Le Belge Thomas De Gendt (Lotto Soudal) remporte l’étape deux secondes devant son compatriote Serge Pauwels (Dimension Data). Les deux hommes se sont échappés dès le kilomètre 3, en compagnie de onze autres coureurs.
16h56 : imbroglio
Du jamais vu sur le Tour dans l'ère moderne : le maillot jaune court à pied sans son vélo ! A 1,5 km de l'arrivée, Chris Froome vient de chuter (avec deux autres concurrents, Bauke Mollema et Richie Porte). Le Britannique a été percuté par une moto qui a elle-même été déséquilibrée par un afflux de spectateurs. En attendant son vélo de rechange, Froome poursuit l'étape à pied.
17 heures : renversement
Froome a théoriquement perdu son maillot jaune au profit du Britannique Adam Yates (Orica-Bike Exchange).
17h21 : drame chauvin
Thibaut Pinot (FDJ), revêtu du maillot à pois de meilleur grimpeur, termine l’étape dans le gruppetto avec plus de vingt minutes de retard sur les favoris. Souffrant d’une bronchite, il ne prendra pas le départ du contre-la-montre en Ardèche le lendemain. La France perd l’une de ses meilleures chances de placer un coureur sur le podium final.
18h06 : polémique
L'agence Reuters annonce que Chris Froome conserve son maillot jaune… parce que le coureur britannique l'annonce sur Twitter. Avant le jury des commissaires… Il est vrai que l'équipe Sky a fortement fait entendre sa voix pour réclamer la réintégration de Froome au classement, estimant que l'incident n'était pas d'ordre sportif. Grosse gêne des organisateurs (inquiets d'un éventuel procès de la Sky ?). La décision des commissaires arrange toutes les parties mais déclenche la controverse : Froome bénéficie-t-il de favoritisme ?
19h45 : tempête
Le vent souffle à près de 120 km/h au sommet du mont Ventoux (1912 mètres). Une famille dano-néo-zélandaise est terrifiée, les deux enfants pleurent. Ils ont garé leur voiture en contrebas, sur le versant opposé à l'arrivée : ils ont déjà marché dix-huit kilomètres depuis le matin et se retrouvent bloqués dans la tempête. Libération les prend en stop, quelques jours après avoir sauvé deux Américains (dont un blessé au poignet) du côté d'Andorre-Arcalis.
22h30 : bonne journée
L'équipe Cofidis termine son dîner satisfaite. «C'est plus tôt que les autres soirs», indique un membre de l'encadrement. Son grimpeur espagnol Dani Navarro a terminé quatrième de l'étape.
23 heures : attentat à Nice
La nouvelle de la tuerie de Nice au camion-bélier tourne en boucle sur les réseaux sociaux et les chaînes d'infos en continu. Le drame, survenu à 22h33, est rapidement assimilé à un attentat. Sur le Tour, la plupart des coureurs dorment déjà. Idem pour le directeur sportif de la course, Thierry Gouvenou, qui raconte à Libération : «Forcément, quand tu te réveilles, ça te coupe les jambes. On relativise le Tour de France, les résultats sportifs. Mais on se sent aussi dans l'obligation de continuer à vivre normalement, c'est la seule façon de résister. Arrêter la course, ça aurait privé les spectateurs au bord de la route d'un moment d'insouciance.» Le lendemain, l'organisateur annonce que l'étape du 15 juillet est maintenue «en accord avec les services de l'Etat», mais les hommages se multiplient : minute de silence au départ et à l'arrivée, caravane publicitaire priée de ne pas diffuser de musique. Sur ce Tour 2016, la fête ne sera plus la même.