Christopher Froome n’a jamais autant donné de sa personne pour remporter le Tour de France, son troisième depuis 2013. En trois semaines, le Britannique de 31 ans a attaqué en descente (Payolle, dans les Pyrénées), sur le plat à travers les rafales de vent (Montpellier)… Peine perdue : de nombreux observateurs et téléspectateurs déplorent un manque de spectacle.
Mais l'épreuve, qui s'est achevée dimanche par un succès au sprint de l'Allemand André Greipel (Lotto-Soudal) et un triomphe au classement final de Froome devant le Français Romain Bardet (AG2R) et le Colombien Nairo Quintana (Movistar), était-elle vraiment morne ? L'Irlandais Dan Martin (Etixx-Quick Step), huitième au tableau final, juge qu'il s'agit du top 10 «le plus serré depuis très longtemps» : «Tout le monde est à bloc et presque au même niveau [hormis Froome, ndlr].» Le grimpeur espère que les différences se jouent désormais bien plus sur les «aptitudes physiques naturelles» que sur le reste. On fait les sous-titres : le dopage, qu'il soit chimique ou mécanique, semble avoir, sinon disparu, du moins régressé. Fini les attaques à répétition sur le grand plateau et bouche fermée. Cette année, aucun coureur n'a signé de performance ahurissante dans les cols. Ce qui a d'ailleurs assuré à Froome une relative tranquillité médiatique. Mais la question du «spectacle» reste d'actualité, en particulier pour Amaury sport organisation (ASO), qui gère cet événement planétaire lui rapportant 180 millions par an. Comment continuer à attirer plus de dix millions de personnes au bord des routes ? Comment garder devant leur écran de télé encore davantage de téléspectateurs ? Jean-René Bernaudeau, le patron de l'équipe Direct Energie, estime que le Tour fait face à deux défis : celui de la «crédibilité», salement amochée après les années EPO, et celui de «l'attractivité». Si le premier semble momentanément réglé, le second laisse à désirer. «On s'emmerde !» dit même Bernaudeau. Pourtant, quelques pistes existent pour redynamiser l'événement. Libération les passe en revue.
1/Jouer sur des terrains inédits
Juillet 2015. Le Tour n’a commencé que depuis quatre jours et, déjà, les coureurs n’en peuvent plus. Pour les premières étapes, les organisateurs leur ont réservé un programme corsé : polders néerlandais (des digues battues par le vent), collines ardennaises, pavés du nord de la France. Chaque jour, le peloton doit disputer une mini-classique. L’idée est de sortir des schémas de course stéréotypés et reconduits quasiment chaque année : une première semaine tranquille avec la traditionnelle échappée des «baroudeurs», reprise dans les derniers kilomètres par les équipes de sprinteurs. En 2016, le tracé a tenté de ménager les coureurs, même si la bosse de Cherbourg, le deuxième jour, et la traversée du Cantal, le cinquième, offraient déjà des terrains propices aux hostilités. Thierry Gouvenou, chargé du parcours pour ASO, veut continuer à innover. Les «ribinou» bretons, ces chemins de terre, pourraient être une nouvelle découverte. Selon nos informations, la ville de Brest est candidate pour une étape du Tour riche en ribinou. Une autre arrivée spectaculaire et inédite est envisagée au sommet du col de l’Izoard, dans les Alpes. Plus audacieux, proposer un contre-la-montre en descente. Le Tour d’Italie l’a fait sur cinq kilomètres, mais l’époque est au souci sécuritaire. L’équilibre demeure subtil entre un parcours alléchant pour le spectateur et humain pour les coureurs. Car si la hiérarchie du classement général est déjà établie après une semaine et que les coureurs sont à l’os, comment leur reprocher de ne pas faire le spectacle ? Autre idée : réduire le kilométrage des étapes, pour les rendre plus nerveuses. Déjà bien engagé : cette année, seules cinq ont dépassé les 200 bornes.
2/Perturber les puissants
Une image vaut parfois mieux que toutes les analyses sur la supposée timidité des adversaires de Froome. Samedi, dans l’ascension du Joux-Plane, le dernier col du Tour de France, le groupe des favoris est composé d’une quinzaine de coureurs. Parmi eux, cinq appartiennent à la même équipe, le Team Sky. Outre le maillot jaune, il y a là le Néerlandais Poels, le Colombien Henao, le Gallois Thomas et l’Espagnol Nieve. Autant d’hommes qui pourraient occuper un rôle de leader dans une autre équipe, à en juger par leur capacité à tenir en respect les Bardet, Quintana et Porte.
Une autre image permet d'expliquer cette domination collective. Il s'agit d'un tableau publié par l'Equipe il y a quelques jours dressant le budget estimé de chacune des 22 équipes engagées sur le Tour. En première position, et de loin, la formation britannique, avec 35 millions d'euros. Derrière, quatre équipes émargent à 20 millions d'euros ou plus. Quid d'AG2R, l'écurie de Romain Bardet, le dauphin de Froome ? 12 millions. La Movistar de Quintana ? 15 millions. Pour troubler cet ordonnancement, Christian Prudhomme, le patron du Tour, se dit favorable à la réduction du nombre de coureurs que chaque équipe engage. Fixé à neuf aujourd'hui, il pourrait descendre à huit. «Les plus grosses équipes ne veulent pas entendre parler de ça, reconnaît Prudhomme. Mais peut-être vont-elles comprendre qu'il s'agit de l'intérêt supérieur du cyclisme.» La mesure pourrait aussi produire des effets pervers, les «gros» décidant d'acheter les petits. Ainsi, en 2003, les Allemands de Telekom avaient soudoyé les Français de Cofidis sur le Paris-Nice pour gagner des alliés. Autre piste rarement évoquée dans le milieu du vélo, celle d'un «salary cap» (plafonnement de la masse salariale), à l'image du système mis en place dans le championnat de France de rugby. Problème : les moyens de le contourner existent, avec, par exemple, des primes de résultat ou des droits d'image pour compléter le salaire.
3/Limiter la technologie
Haro sur les oreillettes ! Pour en finir avec des courses réglées au millimètre, ne faudrait-il tout simplement pas supprimer les radios dont sont équipés les coureurs, et qui les relient avec la voiture de leur manageur ? Jean-René Bernaudeau valide l'idée : «Il y en a assez des directeurs sportifs qui jouent à la Playstation», peste-t-il. Et de citer l'exemple de l'échappée victorieuse de Bardet vendredi sur la route de Saint-Gervais (Haute-Savoie), qui, en dépit des consignes de prudence de son encadrement, s'est lancé de loin, aidé de son coéquipier Chérel. «S'il écoute sa voiture, l'histoire ne s'écrit pas pareil, dit Bernaudeau. L'oreillette, c'est la prime aux coureurs les moins intelligents.» Pas toujours vrai cependant, certaines épreuves échevelées se disputant avec oreillette et vice versa. Et puis il y a l'argument de la sécurité pour défendre les radios. Explication d' Alain Gallopin, directeur sportif de Trek-Segafredo : «Si un de tes coureurs est en train de perdre la course et que tu ne peux pas lui parler à l'oreillette, tu vas prendre tous les risques pour monter à sa hauteur. Et un jour, quelqu'un va coucher une rangée de spectateurs.» Autre outil très décrié : le capteur de puissance, qui donne en temps réel des informations aux coureurs et à leur staff sur l'effort produit. Sky est passée maître dans l'art de régler les cyclistes sur la bonne fréquence. «Les coureurs s'arrêtent quand ils voient qu'ils touchent leurs limites et ne marchent plus à l'instinct», regrette Bernard Thévenet, double vainqueur du Tour dans les années 70. L'Union cycliste internationale a songé à bannir ce capteur en course, mais a renoncé pour le moment, échaudée par l'incident du Tour 2009, quand sa proposition de «journée sans oreillette» avait déclenché un début de grève dans le peloton.
4/Changer les règles
Pour favoriser les attaquants, l’organisation pourrait distribuer des bonifications (par exemple une minute) à celui qui passerait premier en haut des cols. Ou augmenter les «bonifs» aux arrivées, le vainqueur recevant aujourd’hui seulement 10 secondes. Ces solutions ont déjà été testées dans les années 20 ou 30. Autre possibilité : éliminer le dernier de l’étape chaque jour. C’eut été cruel pour Shane Archbold (Bora Argon 18), le sprinter chevelu qui s’est battu dans les cols des Alpes cet été avec un bassin fracturé.
Mais aussi…
Refaire des équipes nationales.
Raboter la course à deux semaines pour que les coureurs soient moins fatigués.
Créer des équipes mixtes (la Néerlandaise Marianne Vos a déjà demandé une dérogation).