Une nouvelle génération de coureurs a émergé cet été pendant le Tour de France mais Christopher Froome se voit bien prolonger son règne. «Je rêve de revenir ces quatre ou cinq prochaines années, si je peux», déclare celui qui en est déjà à trois succès. Le record à battre est toujours officiellement de cinq titres – comme Anquetil, Merckx, Hinault et Indurain – puisque le septuplé d'Armstrong a disparu des tablettes pour cause de scandale de dopage. Mais Froome en est à 31 ans et Alberto Contador, autre ancien lauréat, accuse les 34 ans. Ça sent le changement d'époque.
à lire aussi Froome, un succès verrouillé à triple Tour
«Mais on ne peut pas encore dire qui succédera à Froome, explique à Libération Philippe Mauduit, directeur sportif de l'équipe italienne Lampre-Merida. On manque de données sur le long terme pour apprécier et comparer le potentiel de la jeune génération.» Les qualités requises ? «Une bonne récupération, un bon rapport poids-puissance, des capacités de grimpeur, des qualités qui permettent de limiter la casse en contre-la-montre, énumère Mauduit. Et un mental qui aide à se remettre chaque jour en question.»
Sean Yates, directeur sportif chez Tinkoff, insiste sur l'importance de briller dans le contre-la-montre pour qui veut remporter le Tour de France. «En montagne, il est devenu difficile de prendre plus de dix secondes à ses adversaires, dit le Britannique. En chrono, les meilleurs creusent l'écart de quarante secondes au moins.» Ce qui dessine en creux le portrait du futur vainqueur de la Grande Boucle. Libération fait le point sur les chances des nouveaux noms qui se sont distingués dans l'édition 2016, outre celui de Romain Bardet (AG2R), dauphin de Froome au général.
à lire aussi AG2R, une équipe au sens propre
Adam Yates (Orica-Bike Exchange), 23 ans
C’est un beau loupé du Team Sky. L’équipe de Christopher Froome, toujours à la recherche d’un successeur britannique à son actuel champion, a laissé passer Adam Yates à travers son système de détection. Et voilà comment le coureur de Burry, près de Manchester, bientôt 24 ans, s’est engagé pour l’équipe australienne Orica en 2014. Il y en a une autre qui a failli engager Yates au sortir des rangs amateurs : la FDJ. A l’époque, le grimpeur anglais évoluait dans un club amateur français, le CC Etupes, comme avant lui Thibaut Pinot. Il est monté en puissance sur le tard, jusqu’à se révéler deuxième du prestigieux Tour de l’Avenir en 2013.
à lire aussi Après l'orage, Sky sur un nuage
Depuis, Adam Yates est une valeur sûre des classements par étapes, 7e du critérium du Dauphiné en juin. Sur le Tour de France, pour sa deuxième participation, il termine 4e et meilleur jeune. «Je suis le trouble-fête», s'amusait-il à l'entame de la traversée des Alpes. Il se défend : «Je suis surtout là pour apprendre.» Mais interrogé sur ses chances de s'imposer un jour, il ne dit pas non : «Je vais continuer à m'entraîner dur.» Son contrat, qui arrive à échéance fin 2016, n'a pas été renouvelé. Yates est en position de force sur le marché des transferts.
Tom Dumoulin (Giant-Alpecin), 25 ans
Si le prochain maître du Tour de France a un fort penchant pour les chronos, alors ce pourrait être Dumoulin. Ce mois-ci, le Néerlandais a battu Chris Froome sur le contre-la-montre vallonné en Ardèche, avec une marge de 1’03'', et il a pris la deuxième place de la deuxième étape du genre, tracée en montagne dans les Alpes. Dans les Pyrénées, le «Papillon» (son surnom, bizarre) a aussi gagné, au sommet d’Arcalis, en Andorre. Mais il était ce jour-là membre d’une échappée.
C'est le problème de Dumoulin : il court souvent dans une forme d'esquive. Par exemple, il se retrouve leader du Tour d'Espagne l'an passé, sans l'avoir voulu, et explose en fin d'épreuve, rétrogradant à la 6e place. Sur le Tour de France, il revendiquait d'avoir couru à la carte, afin de se ménager pour les Jeux olympiques (hélas pour lui, il s'est fracturé le poignet, ce qui lui vaut de déclarer forfait pour Rio). La prochaine fois, il promet de mieux s'appliquer : «J'ai toujours dit que je me spécialiserai un jour dans les grands tours. Mais je n'ai pas dit quand.» Le temps presse un peu : Dumoulin fêtera ses 26 ans en novembre. Représentant de la génération 1990 comme Romain Bardet et Thibaut Pinot ou encore Nairo Quintana, il compte moins de références qu'eux sur les grands tours.
Fabio Aru (Astana), 26 ans
«Heureusement» que Fabio Aru a perdu 13 minutes lors l’avant-dernière étape du Tour de France. Samedi, le Sarde de l’équipe Astana a montré des signes de faiblesse dans l’étape vers Morzine (Haute-Savoie). Or, il nous avait habitués à renverser le classement général en fin d’épreuve, quand tous ses rivaux sont laminés, jusqu’à se définir comme un spécialiste de la troisième semaine. C’est d’ailleurs suivant cette tactique qu’Aru avait déboulonné Dumoulin sur le Tour d’Espagne l’an passé.
Il y a un côté sulfureux chez le grimpeur de 26 ans, le meilleur jeune en Italie et le plus fort au monde chez les jeunes (il domine à deux reprises le très montagneux tour du Val d'Aoste). Le Néo-Zélandais Greg Henderson (Lotto Soudal) a insinué sur les réseaux sociaux au printemps que son passeport biologique n'était pas régulier, ce qui pourrait être un signe de dopage. Aru s'est défendu avec force de ces accusations et Henderson a été forcé de s'excuser. Déçu par sa prestation dans son premier Tour de France, Fabio Aru dit avoir «appris de [ses] erreurs». Par exemple de sa cohabitation délicate avec Vincenzo Nibali, qui devrait quitter l'équipe cet hiver ? A terme, Aru devrait récupérer les pleins pouvoirs.
Louis Meintjes (Lampre-Merida), 24 ans
Sur le vélo, pas grand-chose à dire. A propos de son parcours, pas grand-chose à écrire. Mais Meintjes (prononcer «Meinkiss») s'avère efficace sur le vélo. Il devient même le premier Africain de l'histoire à terminer dans le top 10 du Tour de France, dimanche, avec une 8e place au classement général (natif du Kenya, Christopher Froome dispose aujourd'hui de la nationalité britannique).
Originaire de Pretoria, en Afrique du Sud, Louis Meintjes a été formé en Belgique sans se signaler nécessairement comme un protagoniste de courses par étapes à haut niveau. Puis il finit 2e des Championnats du monde des 19-22 ans en Italie, en 2013. L'année suivante, il est 5e d'une étape à la Vuelta et celle d'après 10e du classement final sur cette même épreuve. Gages d'une construction patiente et sans coups d'éclats.
«Mais qui sait où se trouve le prochain vainqueur du Tour de France, interroge son directeur sportif, Philippe Mauduit. Peut-être qu'il ne faut même pas chercher dans le top 10 du Tour 2016 mais plus loin dans les profondeurs. Certains coureurs ont explosé par la suite. En tout cas, on s'achemine vers une période de transition entre l'époque Froome et celle d'un autre coureur, car aucun ne semble aujourd'hui en mesure de dominer le cyclisme pour quatre ou cinq ans.»