Son histoire pourrait être le synopsis d’une production Walt Disney : l’été de ses 11 ans, Sandrine Gruda a pris une dizaine de centimètres. Du coup, elle a dû changer de vêtements et de lit, parce que ses jambes dépassaient. Des années plus tard, là voilà star du basket féminin, médaillée d’argent aux derniers JO, en route pour les prochaines olympiades au Brésil, et habituée de la WNBA, ligue équivalente à la NBA pour les filles. Entre le pieu devenu trop petit et les dizaines de titres, du boulot. Enormément de boulot.
L'intérieure de 29 ans, 1,95 m, a un gros talent et surtout, la détermination commune à tous ces sportifs qui ont réussi à aller plus loin que d'autres dans leur discipline. Ça signifie faire du rab dans son coin, décortiquer ses matchs, se prendre la tête sur des mini-détails et donc, donner un autre sens au mot repos. Illustration. En 2013, la Martiniquaise a travaillé avec Guy Ontanon, le coach de l'ex-sprinteuse Christine Arron, alors qu'elle figure déjà parmi les meilleures joueuses européennes. «Il fallait que j'apprenne à courir intelligemment, comme une athlète.»
Les années de compétition internationale, son planning s'est souvent transformé en grand cercle. Cela donnait championnat de Russie (septembre - mai), musculation pour préparer le corps à la WNBA (mai - août), équipe de France et retour en Russie. Au cas où, elle précise : «J'aime le basket, donc ça ne m'a jamais dérangée.» Il y a la jeune Gruda championne d'Europe 2009 avec les Bleues, qui dégageait un «je suis là pour bosser et gagner, point barre» à chacune de ses apparitions. Rien d'arrogant, juste la feuille de route. Et, il y a Gruda, sept ans plus tard, qui dit «je suis toujours là pour bosser et gagner, mais…». Mais elle a rencontré Boris, ex-basketteur, son compagnon depuis trois ans. Mais elle a désormais onze ans de carrière, plus d'une centaine de sélections et près de 2 000 points inscrits, moins de choses à prouver et une manière plus globale d'appréhender le basket. «Faire des selfies, des photos, enregistrer des speeches : je ne le faisais pas avant, mais là, je ressens vraiment l'envie de garder des choses à montrer plus tard, quand j'aurai des enfants.»
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En 2007, après deux titres de meilleure joueuse du championnat avec Valenciennes, Gruda décide de suivre son entraîneur de l'époque, débauché par Ekaterinbourg. Elle s'impose et assimile toutes les nouvelles exigences en quelques mois. Ekaterinbourg, c'est la crème mondiale. A la clé, un contrat à 800 000 euros par an. En parallèle, elle découvre la Ligue américaine - qui fait appel aux meilleures joueuses européennes - et sa culture : des entraînements plus intenses que les matchs et la quête du panier à tout prix, avec le 1 contre 1 tout-puissant. «Il faut être dure, tout le temps.»
Les sponsors la convoitent. En 2010, elle prête son image à la compagnie aérienne Nouvelair. Depuis, la photo la botte. «Certains pensent encore que les femmes qui pratiquent le sport de haut niveau sont masculines. C'est faux. Faire du mannequinat permet de rappeler le contraire.»
Quand elle raconte ses neuf années passées en Russie, elle évoque «la bulle», du genre énorme. A sa disposition, un interprète et un chauffeur. Des déplacements en jet pour les matchs. Là-bas, les joueuses sont exclusivement entre elles, coupées de «la population locale». Le club est financé par l'industrie métallurgique, qui dispose de tellement de moyens qu'il réussirait presque à faire oublier que l'histoire se passe dans l'Oural. Presque. Céline Dumerc, capitaine des Bleues, a tenu deux ans là-bas. A son retour en France, elle confie à quel point des petites choses comme faire ses courses à Carrefour lui a manqué. Quand on lui demande jusqu'où le volet financier a compté dans son choix, Gruda réfléchit : «A 19 ans, quand on vous propose de gagner des titres et de progresser auprès des meilleures joueuses, on n'y pense même pas. Au bout de quatre, cinq ans, il y a l'usure d'être loin de ses proches. Et on prend la mesure de la valeur des choses.» La saison prochaine, elle ne jouera plus en Russie. «Ça y est», lâche-t-elle avec un large sourire, sur le mode de quelqu'un qui dirait «et voilà ! j'ai fini tous mes devoirs». A savoir : une douzaine de titres locaux et deux Euroligue, la compétition phare à l'échelle du continent. En juillet, elle s'est engagée avec Fenerbahçe, en Turquie.
Née à Cannes, elle grandit en Martinique avec ses deux sœurs et son père, Ulysse, ex-international de basket chez les Bleus au début des années 80. Ses parents étaient séparés, et sa mère est décédée depuis. A 15 ans, elle repart en métropole rejoindre les centres fédéraux de Paris et Toulouse pour sa formation. Puis, l'exil. Parmi les avantages en Russie, le temps libre. «Il n'y a qu'un seul entraînement par jour de deux heures, voire deux heures et demie.» Au départ, elle le tue au téléphone avec ses proches et devant les séries télé. A la longue, la routine de la bulle s'installe. Besoin de se reconnecter. De lire et de réfléchir à quand tout sera fini. «Quand on vit de sa passion, on a des œillères.»
Il y a quelques mois, elle décide qu'elle veut se former au journalisme, pour la plume, la vidéo et la culture générale. Toutes les écoles qu'elle contacte refusent, car trop compliqué de s'adapter au calendrier d'un sportif de haut niveau. Le Centre de formation des journalistes (CFJ) finit par se laisser convaincre de tenter une année d'expérimentation, dans une configuration hybride : dans sa classe, elle est seule. «Quand on évolue à très haut niveau, il y a un moment où l'on ne sait plus grand-chose du monde qui nous entoure», souligne Pierre Ballester, son tuteur au CFJ, où elle a commencé en janvier. Par Skype au départ et, depuis sa blessure en février et son retour à Paris pour se soigner, à l'école. «C'est une éponge et une putain de bonne étudiante, dont on ne mesure pas la détermination : quand elle est arrivée ici, elle partait de zéro. Au regard de son statut, elle n'était pas obligée de passer par là.»
Le cursus est non diplômant. Une prépa à d'autres formations, à des piges et aux interviews. En face de nous, on a vu une basketteuse avec des réflexes de journaliste, preuve que son tuteur ne baratine pas quand il dit que ça marche. Hilare, il se souvient de la Sandrine Gruda championne d'Europe 2009. «Au titre de l'interview, je sentais que le journaliste avait souffert.» Et, de la décrire, sept ans plus tard : «Elle gagnerait à s'ouvrir encore plus. Mais je ne me fais pas de souci : en cours, elle m'a déjà chambré. Donc tout va bien.»
25 juin 1987 Naissance à Cannes.
2005 Débuts professionnels à Valenciennes.
2009 Championne d'Europe avec les Bleues.
2012 Médaillée d'argent aux Jeux de Londres.
Août 2016 Jeux olympiques de Rio avec l'équipe de France.