Elle est sans doute la meilleure nageuse brésilienne de l’histoire. La plus rebelle et pugnace des athlètes de son pays. Une âme tourmentée aussi. A 29 ans, la bouillante Joanna Maranhão, qui dispute lundi 8 août le 200 m 4 nages individuel, est en bonne place pour la postérité. Et ce n’est pas rien, dans un pays où la fragile natation féminine compte si peu d’idoles.
Joanna Maranhão dispute à Rio ses quatrièmes JO. Plus qu’aucune autre nageuse auriverde avant elle. Mais n’y a jamais décroché la moindre médaille. Elle s’est révélée à Athènes, en 2004. A seulement 17 ans, elle se classe cinquième du 400 m 4 nages, sa spécialité. Depuis 1948, jamais une nageuse brésilienne n’avait fait aussi bien.
«Joanna Maranhão a un talent incroyable, commente Daniel Takata, journaliste au site spécialisé Swim Channel. Mais sa carrière a été perturbée par ses problèmes personnels». A 9 ans, Joanna fut victime des sévices sexuels de son coach. Ce secret lourd à porter, elle ne le révélera que dix ans plus tard, en 2008. Si le coupable a osé la traîner en justice pour diffamation, le Congrès brésilien lui a rendu hommage. En vigueur depuis 2012, la «loi Joanna Maranhão» est venue rallonger le délai de prescription des crimes de pédophilie, qui commence désormais à courir quand la victime atteint l'âge de 18 ans, et non plus à partir des faits… Crever l'abcès a donc fait avancer la lutte contre la pédophilie, objet de l'association Enfance livre fondée par la nageuse. Mais ça a réveillé aussi ses vieux démons. Joanna tente une première fois de mettre fin à ses jours. Et quand on la croit relevée, elle sombre à nouveau. C'était en 2013. «J'ai avalé des comprimés, mais sans avoir le courage d'aller jusqu'au bout, confie-t-elle. C'était un appel au secours».
«Communiste et salope petiste»
La nageuse venait de découvrir, atterrée, que sa mère avait contracté un emprunt de 120 000 euros pour financer sa carrière. Elle annonce précipitamment sa retraite, pour éponger la dette : «J'ai dû vendre ma voiture, mon appartement, tout ce que j'ai conquis grâce à la natation.» Joanna accuse la fédération, censée la sponsoriser, de l'avoir boycottée à cause de ses prises de position. Cette forte tête ne s'était jamais privée d'en critiquer l'indégommable président depuis 1988, Coaracy Nunes, ni le peu de cas fait de la natation féminine. «En général, nos athlètes en activité s'imposent un devoir de réserve pour s'éviter les problèmes, reprend Daniel Takata. Pas Joanna. Du coup, elle s'est mis à dos les dirigeants du sport». La droite aussi, qui la taxe de «communiste» et de «salope petiste», c'est-à-dire, sympathisante du PT, le Parti des travailleurs de Lula. Car Joanna Maranhão est de gauche. Très active sur les réseaux sociaux, elle dénonce les fachos, milite contre la baisse de la majorité pénale…
La politique la tente, mais c'est en faisant son retour dans les bassins qu'elle a créé la surprise, début 2014. A ce stade, l'équipe féminine n'est déjà plus le parent pauvre de la natation auriverde. «Joanna elle-même est plus sereine», juge Daniel Takata, qui ne se risque pas à parier sur sa retraite après Rio. L'an dernier, elle a enfin réussi à battre son record (04'40'') sur 400 m 4 nages, épreuve dans laquelle elle n'est arrivée que quinzième(sur 33), samedi 6 août. Fera-t-elle mieux lundi sur 200 m? «Les médailles, c'est très bien, mais ce n'est qu'un objet, relativisait l'intéressée dans une interview en 2015. Beaucoup d'athlètes ne pensent qu'à ça. C'est fort peu, face aux besoins de notre pays.»