Menu
Libération
Tribulations cariocas

«On voulait juste voir Teddy Riner»

Notre envoyé spécial raconte les Jeux version off.
. (Photo Reuters)
publié le 10 août 2016 à 11h55

Premier jour de boulot à Rio. Tu as fini très tard et tu es sorti pile-poil en même temps que Sun Yang, vice-champion olympique du 200 mètres en natation - sorti de la salle de conférence de presse, pas du bassin. C'est là que tout a commencé : tu t'es gouré de chemin pour sortir et t'es retrouvé à errer à l'intérieur d'un site olympique quasiment vide. Vers 1h30 du matin, tu as commencé à dégoupiller tout seul derrière des pré-fabriqués et des poubelles : «Je suis venu regarder Teddy Riner, pas pour me faire violer.»

Et tu t’es mis un coup de pression tout pourri dans la nuit noire : «Allez, mec, allez.» Dans les séries télévisées, ça permet de trouver une solution vite fait bien fait. Le héros passe la main dans ses cheveux et laisse l’instinct de survie gérer. Comme tu ne peux passer les doigts dans ta tignasse - ils se heurteraient à une farouche résistance - tu as fini derrière d’autres préfabriqués et galéré toute la nuit.

Episode 1: Sun

Tu commences à marcher n’importe comment, vers n’importe où. Au bout de vingt minutes, tu croises un employé semble-t-il en pause, qui ne comprend pas ce que tu baragouines. Tu lui montres la ligne «journaliste» de ton accréditation, mais lui bloque sur ta tête de teckel sur la photo. Tu le regardes, il te regarde, puis lève le pouce pour te dire «c’est bon, casse-toi maintenant».

A Paris, une branche de ta famille s’apprête à partir quelques semaines pour une contrée lointaine. Au courant du décalage horaire et du planning nocturne, elle te passe un coup de fil pour la forme. Les dialogues ne ressemblent à rien :

« J’ai tardé, j’étais avec Sun Yang... − Sun ?»

Une voix derrière, que tu ne parviens pas à reconnaître : «Sun, ça veut dire soleil je crois.»

Le téléphone coupe. Tu te retrouves à côté d’un grand stade. Réflexe de crevard qui prend l’avion tous les seize ans : tu fais un selfie.

Episode 2 : verglas

Tu commences une conversation en anglais avec un homme aux cheveux couleur verglas. Il ne comprend rien, tu ne comprends rien. Il se barre, tu le prends en filature de loin, comme si tu allais le dépouiller. Premier raisonnement insensé : «Un mec avec des cheveux transparents doit forcément savoir où est la sortie.» La fatigue.

Au bout de deux cents mètres, il grimpe dans une voiture. Le site n’est pas immense, mais ton cerveau ne répond plus. Tu tournes en rond, encore et encore, jusqu’à tomber cette fois sur un type très cool, qui t’indique un chemin et met de l’espoir dans ton coeur. Des bus nocturnes desservent les quatre coins de Rio, dont l’endroit où tu es logé. Un Noctilien, comme à Paris. Il t’accompagne. Vous vous mettez à rire tous les deux, comme dans une pub pour les zoos. Tu t’essayes à un dialogue plus poussé et même au portugais. Dans ta phrase, tu glisses un «Noctiliano». C’est l’euphorie.

Arrivés à l’endroit d’où partent les bus, un gars avec un calepin t’explique que c’est foutu et prononce le mot «taxi». Dans les poches, des thunes, mais pas assez pour tenter un trajet d’une heure surtaxée. Tu restes à côté de lui, en le regardant comme si ta mère t’avait confié à lui. Un peu plus et tu lui taxais un biberon. Il a haussé les épaules, s’est marré et s’est barré.

Episode 3 : R21 Nevada

Le centre de presse, espèce de parking transformé en immense salle de travail, reste ouvert toute la nuit. Il faut le retrouver parce que c’est là où tu attendras le petit matin. Pas le choix. Ta famille te rappelle. Les conneries continuent :

« Sun, c’est qui en fait ? Il est avec toi ? - Non, c’est un nageur chinois.- Un nageur ?»

La voix non-identifiée derrière : «Je crois que pour 6 euros par trimestre, tu peux apprendre à nager avec la mission locale. Je crois hein.»

Au bout d’une demi-heure, tu arrives devant le grand bâtiment dévolu aux journalistes, quasiment vide. Dans la grande salle remplie la journée, il ne reste qu’une poignée de guerriers. Un type tapote comme un dingue, un autre a posé son front sur le sigle Apple de son ordinateur et roupille, capuche blanche sur la tête. Désolation. Tu poses ton sac et files te prendre un café. Il est couleur R21 Nevada bleu-nuit - un genre de potion à s’attaquer directement à l’intestin. Un confrère arrive derrière toi pour s’en faire un. Tu lui tends ton gobelet. C’est ça l’esprit Coubertin.