Pendant une semaine, on a rôdé – c'est le mot, juré – entre les couloirs du bassin olympique, la tribune de presse et la zone mixte autour de la natation. On a pu raconter quelques histoires, mais pas toutes. Comme les courses à la piscine olympique sont terminées à Rio, en voilà dix qui nous ont procuré un kif. A dans quatre ans.
Gilles. Anthony Ervin a été plus rapide que Florian Manaudou sur 50 mètres brasse. L'Américain, que personne n'attendait à ce niveau, a raflé l'or pour un centième. Une histoire de dingue : il est champion olympique à Sydney (2000), puis lâche la natation deux ans plus tard. Sombre dans la gnole et la drogue. Fait des petits boulots ici et là. Il revient – après un déclic en bossant comme maître-nageur avec des enfants – et gagne, à 35 ans, tout ça après avoir combattu le syndrome Gilles de la Tourette pendant sa retraite.
Le nuage. Michael Phelps, 31 ans, l'homme qui pèse alors 22 médailles d'or, a été privé vendredi de sa 23e par Joseph Schooling, un excellent nageur de Singapour qui arbore une chapka naturelle sur la tête, ses cheveux formant un petit nuage. Il y a huit ans, aux Jeux de Pékin, il avait pris une photo avec l'Américain. Il avait 13 ans. Enorme exploit et leçon d'humilité pour nous : quelques minutes avant la course, on avait commencé à écrire un article sur cette foutue 23e médaille, en se racontant que l'Américain ne pouvait pas perdre sur 100 m papillon, son bébé. (Phelps l'aura finalement samedi soir au relais 4x4 nages, sa 23e médaille).
Bobo. Phelps, toujours, qui a chanté le tube de l'été, intitulé «assez de voir ces anciens dopés dans les bassins». ll s'est insurgé contre contre Yulia Efimova, la nageuse russe deux fois mouillée dans une histoire de substances interdites – blanchie la seconde fois – et repêchée de justesse pour les Jeux. «Ça me brise le cœur», a-t-il déclaré, après l'une des deux médailles d'argent d'Efimova. Presque aussitôt, des internautes ont commencé à s'interroger : si le dopage lui fait autant bobo, pourquoi a-t-il fait, il y a quelques jours de ça, une photo (visible sur Instagram), tout sourire avec son compatriote Justin Gatlin, le sprinter étant tombé lui aussi pour triche ?
Mystère. Kathleen Ledecky a pulverisé les records olympique et du monde du 800 mètres. Elle avait déjà tapé le temps de Laure Manaudou en 2004 l'année de son titre olympique… sur 400 mètres. Le mental, l'aisance dans l'eau, l'insouciance : personne n'est encore capable d'expliquer clairement comment l'Américaine – cinq médailles à Rio (quatre d'or en solo et une d'argent en relais) – arrive à faire ce genre de miracles.
Kojak. Un journaliste russe a voulu venger Efimova (encore), sifflée par le public lors de la finale du 200 mètres brasse, parce qu'ex-grugeuse donc. Dans la tribune de presse, ce jeune chauve s'est levé, a applaudi très fort la nageuse et du coin de l'œil, a toisé tous les confrères en mode «s'il y a un problème, je vous prends tous». Au final, tout le monde s'en moquait un peu. De nouveau assis, il tapota sur son ordinateur avec un joli sourire d'enfant.
Question. Au fil des jours, les huées à l'endroit des nageurs russes ont diminué. C'est du moins l'impression vu de loin. Théorie : peut-être que le public a compris que les pontes du CIO, responsables d'un bordel de type nouveau – attendre la cérémonie d'ouverture pour connaître la liste définitive des athlètes russes – s'en moquaient. Entendu à plusieurs reprises au sortir du bassin après discussion avec des personnes du public : si les Russes ont été invités, et ce quelle que soit l'ampleur du dopage d'Etat, pourquoi ne viendraient-ils pas ?
Punchliner. Le Chinois Sun Yang a le même profil problématique qu'Efimova – suspendu trois mois pour dopage en 2014. Tenant du titre sur 400 mètres nage libre, il s'est fait avoir par Mack Horton, un Australien de 20 ans, qui l'a chatouillé publiquement sur son passé d'ex-dopé. Réponse de Sun Yang le lendemain en deux temps. 1- Il est le roi, «le nouveau monde» (sic). 2- Il ne sait pas qui est Horton, son bourreau, et s'en fout. Après ça, il a remporté le 200 mètres nage libre.
La course. Il y en a eu de très belles, à l'image du relais 4x100 mètres, à l'issue duquel l'équipe de France masculine a pris la médaille d'argent (elle était invaincue depuis 2012). Mais le 100 mètres nage libre femme, où la Canadienne Penny Oleksiak et l'Américaine Simone Manuel ont toutes les deux gagné l'or, est (subjectivement) au-dessus. Elles ont terminé ex-æquo, en faisant tomber le record olympique. Il y a eu trente, quarante secondes de flottement, où personne n'a compris. Ni le public ni les nageuses. Oleksiak n'a que 16 ans, Manuel devient la première Noire américaine en or sur de la natation en individuel.
8 ans. «Gavroche» est le nom du plan de la Direction technique nationale française, pour arriver avec une bonne génération en 2024 – l'intitulé est exquis, voire magique. Huit ans, donc, comme entre 1996 (débâcle française à Atlanta, avec 0 médaille) et 2004 (Manaudou, Metella, Leveaux). Optimisme.