C'est le dernier recoin mal éclairé des Jeux, le choc ultime en manière d'exotisme pour le suiveur occidental, le grand mamamouchi du Bourgeois gentilhomme expédié dans ces zones mixtes dévolues aux échanges entre les athlètes et les journalistes après les compétitions. Instant précieux lundi à l'issue du concours de saut de cheval en gymnastique artistique : un Nord-Coréen sort avec l'or. Le sport étant le seul domaine ouvert à l'étranger de ce pays, le frisson est garanti.
Tunnel. Se-gwang Ri est un petit bonhomme de 31 ans, très dynamique dans l'exercice de son art et qui marche en biseau quand il fait autre chose. Un vieux routier de la discipline, double champion du monde de saut de cheval en 2014 et 2015, licencié à Pyongyang au Club de Sport du 25-Avril (date de la fondation en 1932 de l'armée populaire de Corée, il s'agit donc du club de l'armée) et que tout le monde voyait vainqueur à Rio. Une fois le podium expédié, sur lequel Ri a effectué un salut militaire durant la montée des couleurs, le chaland se lance alors dans une mission difficile : sortir le gymnaste du tunnel de considérations nationalistes où les athlètes nord-coréens embarquent les journalistes occidentaux, lui redonner un peu de vie, arracher quelque chose de son rapport au sport ou à sa discipline. Compliqué. Il va falloir arrêter Ri à l'arrache en zone mixte. On nous informe qu'il ne s'y est jamais arrêté lors des compétitions précédentes. Oui, mais il n'était pas champion olympique non plus, donc là… Une interprète coréenne est envoyée. On attend. Elle revient : «J'ai deux déclarations faites à OBS [le canal média olympique, ndlr] si vous voulez.» Ben tiens. «Voilà : à la question "Quel sens à cette médaille pour vous ?" Il a répondu : "Aucun, c'est un cadeau que je donne à mon pays et à ceux qui y vivent." Et à la question "La pression psychologique des Jeux ne vous a-t-elle pas inhibé ?" : "Non. Subir la pression, ce n'est pas coréen.» Ça commence mal. Ri arrive en zone mixte. La dizaine de représentants de la presse écrite monte le ton à son passage, lui enjoignant de s'arrêter. Il s'exécute, l'air surpris.
Mystère. Les questions tombent via l'interprète. A chaque fois, il se tourne vers son chaperon : pas un type sans âge à l'air sévère comme on en voit dans les films mais une jeune fille pimpante, qui sourit tout le temps. «- Quel sens donnez-vous à votre victoire ? - Aucun. Cette victoire est un cadeau que je donne à mon peuple. - Où la situez-vous par rapport aux deux titres mondiaux de 2014 et 2015 ? - Cette médaille d'or donne un sens au courage des gens de mon pays et de notre leader. - Avez-vous déjà rencontré Kim Jong-un ? - Oui. - Avez-vous un secret, et si oui, lequel ? - Les encouragements de mon équipe, que je tiens à saluer. Mais le plus grand secret, c'est la passion. Le mental, il est là [il montre son cœur].»
Un champion olympique est passé. Peut-être qu’il récite mais peut-être pas, peut-être qu’il est convaincu mais peut-être pas, peut-être qu’il s’en fout mais peut-être pas. On est venu avec nos questions, il est venu avec ses réponses et on est reparti avec nos questions. Le mystère est intact. Se-gwang Ri a au moins fait ça pour nous.