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JO

Poings culminants de l'Hexagone

Jeux olympiques de Rio 2016dossier
Inconnus ou presque du grand public, ces quatre boxeurs français sont d’ores et déjà assurés de monter sur le podium. Dans la discipline, c'est le meilleur bilan tricolore de l'histoire des JO.
Estelle Mossely en quart, lundi. Elle est en demie mercredi. (Photo P. Cziborra. Reuters)
publié le 16 août 2016 à 20h01
(mis à jour le 17 août 2016 à 3h10)

Avant les Jeux, quand on lui a parlé de Tony Yoka (la star de l'équipe de France de boxe), John Dovi, le patron du staff technique, a insisté : certes, le champion du monde en titre des superlourds en amateurs est un cas fort intéressant, mais il n'est pas le seul. Puis il a cité quelques noms pêle-mêle, sans parler de médailles, simplement pour souligner qu'ils avaient progressé. Il se trouve qu'à Rio, au moins 6 des dix boxeurs engagés (2 filles et 8 garçons) repartiront avec une médaille, d'ores et déjà le meilleur bilan français de l'histoire olympique de la discipline. Inespéré. Rappel : en boxe, un athlète qui dispute une demi-finale est assuré de repartir au moins avec du bronze. Pour ce qui est de l'image, le compte est bon aussi. On parle là de bonnes pâtes, plus ou moins expérimentées, plus ou moins cabossées, qui remercient tout le monde tout le temps et glissent des «vive la France» et des «vive la boxe» après chaque combat. Parmi les raisons du succès, le talent, l'équilibre au bon moment - quand des sportifs de haut niveau parviennent à bosser ensemble sans trop de guéguerres d'egos - et l'énorme boulot accompli sous la conduite de John Dovi, coach méticuleux qui, il y a deux ans encore, évoquait une boxe tricolore très fatiguée.

Pas de victoires marquantes, donc pas de visages que le public retient, donc aucune visibilité. Alors que le tournoi continue jusqu'à vendredi, que Sarah Ourahmoune s'est qualifiée mardi soir pour une demi-finale qui lui assure au moins une médailles de bronze, que Tony Yoka s'est également hissé en demies comme prévu, nous avons dressé les portraits des quatre premiers boxeurs à avoir assurer leur place sur le podium.

Estelle Mossely, 23 ans, légère (-60 kg)

L’ingénieure

Estelle Mossely en quart, lundi. Elle est en demie mercredi. Photo P. Cziborra. Reuters

Comme elle est championne du monde dans sa catégorie, elle est directement entrée en quarts de finale du tournoi olympique. Un combat gagné, une médaille. Bon plan. En face d’elle, lundi soir, Irma Testa, une Italienne moyenne, qui n’a pas compris ce qui lui arrivait à partir du second round : ça venait de partout. Mossely se déplace facilement, attaque vite et sans s’affoler. Physiquement, on l’a vue très affûtée. Alors qu’elle commençait à faire un petit tour du ring pour fêter sa victoire, trois ou quatre télévisions étaient déjà en train d’interviewer Tony Yoka, son compagnon, dans les tribunes avec le reste de l’équipe de France.

C'est l'histoire la plus douce de la délégation française : un couple de champions du monde venu chercher l'or à Rio et qui se mariera juste après, raconté dans les pages sport des canards et même dans Paris Match. Avant Rio, Estelle Mossely est la seule femme à être allée en stage à Cuba avec les hommes, se frotter à des poings plus rapides et plus durs. A bénéficier d'un traitement plus personnalisé avec le Cubain Mariano Gonzalez, l'un des meilleurs coachs de boxe amateur présent dans le staff de l'équipe de France, dont l'élève le plus chouchouté est Yoka - avec lequel il entretient une relation quasi-exclusive.

Belle histoire, Mossely, ingénieure en informatique chez Allianz, gardienne de nuit pour payer ses études et boxeuse entre les deux depuis l’âge de 12 ans. Avant même de commencer la compétition, elle était déjà entrée dans l’histoire. Sarah Ourahmoune (qui dispute son quart de finale en moins de 51 kg) et elle sont les premières Françaises à prendre part à un tournoi olympique de boxe.

Bon plan, bis : l’une des rivales de Mossely - qui s’entraîne entre l’Insep et son club de Champigny-sur-Marne - pour l’or, l’Irlandaise Katie Taylor, championne olympique en 2012, a été éliminée par une Finlandaise relativement inconnue. Mercredi, en demi-finale, la boxeuse afffronte la Russe Anastasia Belyakova, qu’elle avait battue en finale des championnats du monde en mai.

Soufiane Oumiha, 21 ans, léger (- 60 kg)

Débrouillard

Sofiane Oumiha est qualifié en finale. P. Cziborra. Reuters

Sur une plateforme de financement participatif, il a écrit un texte à la première personne. Une sorte de lettre de motivation, pour expliquer à quel point il aime la boxe et rêve de disputer les Jeux. Montant de l'aide demandée : 4 000 euros, pour payer un préparateur physique, le voyage de son entraîneur au Brésil et des soins médicaux afin d'arriver au top à Rio. La débrouille - parce que la boxe amateur est une galère financière - a fonctionné, l'objectif ayant été atteint. On a croisé Soufiane Oumiha quelques jours avant son entrée de la compétition, rôdant dans la salle du club France (point de rendez-vous des sportifs tricolores) comme on attend son tour pour le bac de français. Un bob vissé sur une tête fine, elle-même fixée sur un corps encore plus fin : de prime abord, il a l'air liquide. Il nous a raconté sa version des JO - «quand on bosse autant, pourquoi ne pas viser l'or ?» - et sa gamberge, expliquant à quel point il avait fait quelque chose de surréaliste en quittant Toulouse, sa ville d'origine, pour rejoindre Paris et l'Institut national du sport, de l'expertise et de la performance (Insep) en 2014. Comprendre : tu ne peux pas partir de ton coin pour finir à poil. En combat, il prend un minimum de coups. Ses bras partent très vite, il bouge très bien, une sorte d'élastique compliqué à boxer. Le Français a gagné le bronze aux championnats du monde juniors en 2013, l'argent deux ans plus tard aux Jeux européens. Après sa très belle qualification en demi-finale du tournoi olympique, il a pleuré. Dans l'Equipe : «Pour être ici, j'ai raté le mariage de ma sœur qui compte beaucoup pour moi. Comme vous le savez, ma mère a été accidentée et ça fait deux mois et demi que je n'ai pas vu les miens.» Il repartira de Rio avec l'or ou l'argent. Mardi soir, il affrontait en finale Robson Conceiçao: un Brésilien médaillé de bronze aux derniers championnats du monde amateurs, à domicile, ce n'était pas gagné d'avance. Et il a perdu, lâchant tous les rounds à son adversaires. Il avait malgré tout l'argent content: «C'est beau. Mais ma plus grande fierté, au-delà de la médaille d'argent, c'est d'avoir pu rassembler autant de monde en France, dans le monde entier, le temps d'un instant.»

Souleymane Cissokho, 25 ans, moyen (-69 kg)

Capitaine

Souleymane Cissokho en demi-finale, lundi. Malgré sa défaite, il remporte le bronze. Photo Cortez. AFP

Lundi, sa demi-finale s'est arrêtée au second round, à cause d'un coup de tête donné par inadvertance à son adversaire kazakh, qui s'est mis à pisser le sang. Combat stoppé, une histoire de règlement. Comme Daniyar Yeleussinov avait remporté la première des trois manches, Cissokho a perdu. En zone mixte, il s'est arrêté pour dire qu'en dépit de la frustration, il respectait la décision de l'arbitre, évacuant d'emblée le débat sur l'injustice. Pour une histoire de mauvaises ondes, aussi, dont il voulait protéger certains de ses coéquipiers. Lui a le bronze, mais d'autres peuvent encore viser l'or : il ne veut pas risquer d'être négatif par peur de les plomber. «Je vais essayer de faire comme si de rien n'était, comme si j'étais encore dans la compétition.» Puis, il a remercié la dizaine de journalistes qui l'attendaient, comme si l'on était venu sur notre temps libre. De l'avis général, Souleymane Cissokho, capitaine de l'équipe de France - où il évolue depuis neuf ans - est plus qu'un bon mec. Il boxe, étudie, fait de l'associatif pour les gamins au Sénégal et ne moufte pas. En juin, il a gagné sa place de justesse pour les Jeux (via le dernier tournoi qualificatif en juin) après des mois très compliqués au niveau des blessures. D'où la conclusion unanime : le bronze à Rio est déjà une très belle récompense. Un proche raconte : «Quand il est en quelque sorte devenu le numéro 1 de sa catégorie en équipe de France, il a pris ses responsabilités et progressé. Disons qu'avant, il était un bon "boxeur loisirs", très bon sur les touches, très bon techniquement mais qui avait du mal à aller au contact. […] Désormais, il y va.»

Mathieu Bauderlique, 27 ans, mi-lourd (- 81 kg)

«Obélix» 

Mathieu Bauderlique en quart, dimanche à Rio. Battu en demi, il est en bronze. Photo Yuri Cortez. AFP

«Mathieu, c'est Obelix. Il va emplafonner des Romains, mais dire qu'il ne l'a pas fait exprès» dixit l'une de ses connaissances. Un ex-gamin turbulent - de son propre aveu -, deux fois viré de l'Insep pour des histoires de comportements, mais toujours décrit comme une authentique crème par tous ceux avec qui on en parle. Mardi, en demi-finale, «Obelix» n'a pas tenu face au cubain Julio Cesar La Cruz, champion du monde de la catégorie. Ce sera donc le bronze. De prime abord, Mathieu Bauderlique est ce qui se rapproche le plus d'un héros de film de boxe : un gros encaisseur passé chez les professionnels il y a environ deux ans, qui donne d'énormes gnons du gauche. En septembre dernier, il est devenu champion du monde APB (compétition pour les pros, organisée par la fédération amateure- le gloubi-boulga de la boxe), un titre qui lui a assuré une place à Rio. Un combat de dingue en finale face à Ehsan Rouzbahani, qui s'est fini avec du sang sur les coins du visage et une dérouillée au huitième round pour l'Iranien, arrêté par l'arbitre. Précision technique : pour placer les gros pains à ce niveau, il faut savoir se déplacer. Avoir l'intelligence nécessaire pour les mettre au bon moment. Bauderlique s'était paumé après avoir échoué à participer aux Jeux de Londres, où il voulait combattre dans la catégorie des - 75 kilos, celle d'en dessous le concernant. Les régimes pour y arriver l'ont flingué. Il devient obsédé par son poids, plus que par la boxe. Il craque quelques mois avant de revenir. Pour préparer Rio, il a fallu qu'il se réadapte au format amateur : trois rounds, contre douze chez les pros. A fond tout dès le début donc, quoiqu'il est plutôt à l'aise dans ce format-là. Bauderlique s'entraîne toujours à Henin-Beaumont avec Mohamed Nichane, son coach de toujours. Bosse dans le business familial dans le Nord, une petite entreprise de literie.