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«Subir la pression, ce n'est pas nord-coréen»

Jeux olympiques de Rio 2016dossier
Se-Gwang Ri a remporté le titre olympique au saut de cheval. Il a dédié sa médaille d'or à son peuple et à son leader.
Le Nord-Coréen Ri Se-gwang, champion olympique au saut, aux JO de Rio le 15 août 2016 (Photo Thomas COEX. AFP)
publié le 16 août 2016 à 7h50

C'est le dernier recoin mal éclairé des Jeux, le choc ultime en manière d'exotisme pour le suiveur occidental, le grand mamamouchi du Bourgeois gentilhomme expédié dans ces zones mixtes dévolues aux échanges entre les athlètes et les journalistes après les compétitions. Moment précieux lundi à l'issue du concours de saut de cheval des épreuves de gymnastique artistique : un Nord-Coréen sort avec l'or.

Précieux ne veut pas dire rare. Deux titres à Pékin (en haltérophilie et saut de cheval, déjà), quatre à Londres (dont trois en haltérophilie), la République populaire de Corée a voix au chapitre dans le concert olympique. Le sport étant le seul domaine ouvert à l’international de ce pays comptant parmi les plus fermés de la planète, le frisson est toujours garanti pour celui qui voit le monde à travers le prisme des athlètes. Se-Gwang Ri est un petit bonhomme de 31 ans, très dynamique dans l’exercice de son art et qui marche en biseau quand il fait autre chose.

«Un cadeau que je donne à mon pays»

Un vieux routier de la discipline, double champion du monde de saut de cheval en 2014 et 2015, licencié au Club de Sport du 25-Avril de Pyongyang (une évocation de la fondation de l’armée populaire de Corée le 25 avril 1932, il s’agit donc du club de l’armée) et que tout le monde voyait l’emporter à Rio. Une fois le podium expédié, sur lequel Ri a effectué un salut militaire durant la montée des couleurs, le chaland (français, américain, allemand ou autre) se lance alors dans une mission difficile : sortir le gymnaste du tunnel de considérations nationalistes où les athlètes nord-coréens embarquent les journalistes occidentaux, lui redonner un peu de vie, arracher quelque chose de son rapport au sport ou à sa discipline.

Tâche compliquée : les conférences de presse post-podium ne se tiennent jamais après les finales par appareil, il va donc falloir arrêter Ri à l’arrache en zone mixte. On nous informe qu’il ne s’y est jamais arrêté lors des compétitions précédentes. Ah, oui, mais il n’était pas champion olympique non plus, donc là… Une interprète coréenne est envoyée sur zone. On attend. L’interprète s’en va.

Elle revient : «J'ai deux déclarations faites à OBS [le canal média olympique, ndlr] si vous voulez.» Ben tiens. «Voilà : à la question "Quel sens à cette médaille pour vous ?" il a répondu : "Aucun, c'est un cadeau que je donne à mon pays et à ceux qui y vivent." Et à la question "La pression psychologique des Jeux ne vous a-t-elle pas inhibé ?" "Non. Subir la pression, ce n'est pas coréen."»

 Peut-être qu’il récite mais peut-être pas

Ça commence mal. Ri arrive en zone mixte. Pas un mot devant les télés. Ni les radios. La dizaine de représentants de la presse écrite monte le ton à son passage, l’enjoignant à s’arrêter. Il s’exécute, l’air surpris. Les questions tombent par le canal de l’interprète. A chaque fois, il se tourne vers son chaperon : non pas un type sans âge à l’air sévère comme on en voit dans les films mais une jeune fille pimpante, qui sourit tout le temps. Plutôt à l’aise, Ri ne sourira, lui, qu’à une seule reprise, quand il lui fut demandé à quel âge il a commencé la gymnastique. Dix ans.

Voilà le reste de la retranscription exhaustive des échanges.

Quel sens donnez-vous à votre victoire aux Jeux ?

Aucune. Cette victoire est un cadeau que je donne à mon peuple.

Où la situez-vous par rapport aux deux titres mondiaux de 2014 et 2015 ?

Cette médaille d'or donne un sens au courage des gens de mon pays et de notre leader [Kim Jong-un, qui a succédé à son père en 2011].

Avez-vous déjà rencontré Kim Jong-un ?

Oui, je l’ai déjà rencontré.

Avez-vous un secret, et si oui, lequel ?

Les encouragements de mon équipe, que je tiens à saluer. Mais le plus grand secret, c’est la passion. Le mental, il est là [il montre son cœur].

On nous l'enlève pour l'emmener «devant la presse de son pays», prétendument : pas un journaliste nord-coréen ici, mais des Sud-Coréens qui patientent plus loin. Ils auront droit aux mêmes réponses lapidaires. A une nuance près : dans sa langue, le gymnaste fera une allusion à «la bataille des 200 jours», décrétée en juin par Pyongyang pour mobiliser le peuple autour du lancement d'un programme d'économie quinquennal pour relancer la production. Un champion olympique est passé.

Verdict : peut-être qu’il récite mais peut-être pas, peut-être qu’il est convaincu mais peut-être pas, peut-être qu’il s’en fout mais peut-être pas. On est venu avec nos questions, il est venu avec ses réponses et on est reparti avec nos questions. Le mystère est intact. Se-Gwang Ri a au moins fait ça pour nous.