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Mahiedine Mekhissi, le coureur qui brouillait les pistes

Jeux olympiques de Rio 2016dossier
Le Français, qui a récupéré le bronze du 3000 m steeple après réclamation, étoffe un palmarès historique et reste un mystère du sport tricolore.
Mahiedine Mekhissi avec sa médaille de bronze, mercredi soir. (Photo Fabrice Coffrini. AFP)
publié le 18 août 2016 à 19h21

Qui d’autre que Mahiedine Mekhissi-Benabbad pour entrer comme ça dans l’histoire de son sport, sans tour d’honneur et en morigénant tout le monde? Le coureur français de 3000m steeple avait terminé quatrième de la finale. Le Kényan Kemboi ayant marché sur la corde, il a récupéré le bronze sur tapis vert. Sa troisième médaille olympique. Sûrement pas la plus belle. Mais c’est une parabole de la carrière du coureur, le plus grand malentendu du sport français.

Au niveau du palmarès, ce bronze achève d’en faire un monstre de son sport. En trois olympiades, Mekhissi décroche donc sa troisième médaille. Argent à Pékin et Londres, bronze à Rio. Dans un sport où les Européens touchent le Graal quand ils arrivent, un jour de leur carrière, à se faire une place sur le podium au milieu des Kényans ultra-dominateurs, c’est phénoménal. Mekhissi est même devenu le premier athlète de sa discipline, toutes nationalités confondues, à grimper sur trois podiums olympiques.

 «Il n’a pas mordu de quinze mètres, mais c’est le règlement»

Après, il y a la manière, comme on dit. Mekhissi (de son propre aveu) n'avait assez d'essence pour suivre la tête de la course. Il termine loin des deux premiers et à trois secondes de Kemboi qui a donc mis le pied où il ne fallait pas. Interrogé après la course à propos de la réclamation, Yohan Kowal, l'autre Français de la course (5e), n'a pas montré un immense soutien: «ouais… une disqualification, s'il a juste mis le pied dans la corde, il n'a pas mordu de quinze mètres, mais c'est le règlement. Si Kemboi finit largement devant et qu'il ne mord que d'un pied… mais bon, je vais défendre la France. S'il peut récupérer une médaille, c'est bien pour lui.» On fait plus chaleureux. Mekhissi : «J'ai vu Kemboi sortir, faire du chemin en moins. Ce n'est pas un 3 000 m steeple quand on fait du chemin en moins. C'est le règlement.» Il est assez bien placé pour savoir que le règlement est bête et méchant, lui qui fut dépossédé de son titre de champion d'Europe en 2014 pour avoir ôté son maillot avant de franchir la ligne.

Le fait que Mekhissi récupère la médaille d'Ezekiel Kemboi ajoute aussi à l'affaire et a suscité quelques questions. Kemboi, légende du steeple (double médaillé d'or), qui tirait sa révérence. Kemboi que Mekhissi, à Londres, avait porté dans ses bras comme on porte un lardon dans un porte-bébé ventral, après la finale qui les avait couronnés d'or et d'argent. Kemboi, son «ami». De cela aussi, Mekhissi, à raison, se fout. «En course, il n'y a pas d'ami. On est adversaires.»

Mekhissi a raison sur tout. N’empêche, n’importe quel chargé de com stagiaire l’aurait attrapé à la sortie de sa course, lui aurait imposé de la fermer, et aurait laissé la fédération poser la réclamation pour l’athlète, lui évitant d’apparaître comme le mauvais perdant. Sauf qu’avec Mekhissi, rien ne se passe comme il faut. Quand il est arrivé en zone presse, l’ancien coureur de demi-fond Mehdi Baala, qui a intégré le staff des Bleus, l’a attrapé dans un coin, et lui a dit de zapper les médias. Mekhissi a failli s’esquiver mais devant l’insistance des journalistes qui protestaient, y est allé quand même. Et a endossé la responsabilité de la réclamation. Ce mec éteindrait des incendies avec des bidons d’essence.

Venu de nulle part

Il y a huit ans, aux JO de Pékin, il était entré par effraction dans la lumière. L'athlétisme français tirait la langue. Il lui avait offert sa première médaille. C'est à peine si on en avait voulu. Nul ne le connaissait. Il avait livré une course ébouriffante. Trop. Devant des journalistes qui pour l'essentiel ne le connaissaient pas, il avait fait les présentations :«Je suis originaire d'Algérie. De la région d'Oran. Je vis et m'entraîne à Reims.» Puis il avait raconté benoîtement comment, après avoir quitté l'Insep, il était entraîné par un coach bénévole et sans diplômes, Zouhir Foughali. Mekhissi a vendu cette histoire d'entraînements bricolés sans remarquer, ou en faisant semblant de ne pas remarquer, l'incrédulité totale de son auditoire. L'Equipe avait titré : «Questions d'argent» et souligné une performance qui «a stupéfié tous les observateurs» et qui «a plus soulevé de questions qu'elle n'a déclenché d'engouement». Les cadres techniques avaient bavé en off sur la performance surréaliste d'un mec venu de nulle part et entraîné par personne. On a aussi ressorti des placards une suspension de six semaines pour défaut de localisation lors d'un contrôle antidopage.

Aujourd'hui, il paye encore le prix de fumet de dopage qui accompagne la discipline. Il navigue, ni plus ni moins que les autres, dans l'ère du soupçon généralisé. Interrogé sur le dopage, Kowal, toujours, a eu cette phrase, après la course, qui ne désignait personne, mais ne sauvait personne non plus : «Le dopage existe depuis des lustres. Moi je sais que je suis sain. Cela fait des années. Je ne mettrais ma main au feu pour personne à part moi.»

«Allez vous péter le tendon, revenez et faites quatrième aux Jeux»

Après Pékin, Mekhissi, qui a changé d'entraîneur et a continué de s'entraîner en marge, a confirmé. Le milieu a un peu moins tordu le nez devant sa deuxième médaille d'argent de Londres. Mais cela n'en a pas fait une star. La médaille de bronze aux Mondiaux-2013, et ses trois titres européens (deux sur 3000 m steeple en 2012 et 2016, un autre sur 1500 m en 2014) non plus. Ce bronze olympique sur tapis vert ne lui apportera probablement pas plus de reconnaissance que de désamour. Même s'il a été obtenue après une saison de galères et de blessures. Mekhissi est revenu là dessus, à sa manière, en engueulant vaguement les journalistes : «Je reviens de loin. Je peux vous dire que quoi qu'il arrive, ce que j'ai fait c'est exceptionnel. Allez vous péter le tendon, revenez et faites quatrième aux Jeux. Vous allez voir ce que c'est!»

Il y a trois ans, Mahiedine Mekhissi déclarait à Libération: «Je ne comprends pas pourquoi on ne me voit pas en champion. J'ai le plus beau palmarès du demi-fond français, j'ai du talent et je suis un leader de cette équipe de France. Mes plus belles années sont devant moi. Je ne comprends pas.»