A quoi ressemble la gardienne d’une équipe de hand vingt minutes après s’être qualifiée de (très, très) haute lutte pour une finale olympique ? A une fille en larmes. A son arrivée en zone mixte, l’espace dévolu aux échanges entre les joueuses et les journalistes, Amandine Leynaud a essayé de parler. Les mots ne sont pas sortis. Elle a essayé encore.
Et encore. Les Bleues venant de sortir (24-23, poteau néerlandais à la dernière seconde) les Pays-Bas, un reporter a tenté de la consoler en lui expliquant qu'au moins, elle avait des larmes de joie. L'émotion de Leynaud nous a semblé très différente. «Je trouve que l'engagement qu'on a mis… J'ai très, très mal au dos [un lumbago]. Je ne pensais pas commencer la partie, et encore moins tenir une mi-temps [elle a joué un peu plus]. J'ai préparé Laura [Glauser, sa remplaçante] tout le match, je lui parlais sans arrêt. Je prends autant mon pied à la voir jouer qu'à garder le but moi-même. Laura est quelqu'un de spécial. Elle manque de confiance en elle. Là, elle sort du banc et elle nous gagne le match. Cinq arrêts sur sept tirs, ça fait une différence énorme.»
Celle qui sépare la défaite et une finale olympique, samedi face aux Russes. Estelle Nze-Minko : «Laura n'a pas beaucoup de confiance, c'est sûr. Elle a passé du temps avec le préparateur mental de l'équipe. Elle travaille plus que quiconque, elle bûche sur les tireuses adverses, étudie les impacts… et tout ça pour un temps de jeu réduit. C'est magnifique pour elle.» Pour le sélectionneur tricolore Olivier Krumbholz, «elle a sauvé la France». Glauser arrive à son tour, gênée, un peu gauche. Une grande fille loin des autoroutes où les communicants enferment les acteurs dès qu'un micro – ou la possibilité d'un micro – pointe à l'horizon. Deux, trois journalistes l'entourent en douceur.
Moment de grâce
La Bisontine est embarrassée. Elle ne comprend pas ce qu'on attend d'elle. Alors, elle remercie. «Le mental, c'est 80% de la réussite. On m'a beaucoup aidé. Sans ça… Là, j'étais hors de moi mentalement.» Ce n'est pas la joie ou la tristesse qui déclenche les larmes du sport : c'est la violence des émotions ressenties par les joueurs et joueuses, indépendamment de la couleur de ces émotions.
Glauser était une perdue pour la cause. Marie Prouvensier aussi, que Krumbholz n'avait pas retenue pour Rio avant de la rappeler au bout d'une semaine de tournoi pour pallier les blessures de Blandine Dancette et Chloé Bulleux : «Les larmes de Marie m'avaient déchiré le cœur», raconte le coach. Et quand il lui a téléphoné pour la prendre, il lui a raconté quoi ? «Je lui ai dit : ''Tu vois, il ne faut jamais désespérer.»
Prouvensier a été exceptionnelle face aux Néerlandaises et personne ne l’a vu, parce que son œuvre du jour échappe aux radars des non-spécialistes : des courses de replis à la perte du ballon pour couper les contre-attaques adverses côté gauche, où les Bleues se faisaient saigner à blanc. Un moment de grâce, le seul où le sport se trame : certaines sortent de l’ombre pour entrer en pleine lumière pour la première fois de leur vie, d’autres apparaissent sous un jour inédit.
Le chaland a souvent été en difficulté avec Alexandra Lacrabère, à la fois moteur (en sa qualité de demi-centre) de la sélection et recours systématique en attaque quand les choses se compliquent, c'est-à-dire souvent avec cette équipe de France qui existe à travers son intensité défensive. Fermée, suspicieuse : la Paloise ne fait pas de cadeau. Au Brésil, on ne la reconnaît pas. Face à l'Espagne mardi, alors que les Bleues étaient menées 5-12, elle s'est surprise à sourire. Interloquée, une coéquipière l'a reprise là-dessus. Lacrabère lui a répondu : «Il n'y a pas mort d'homme.»
Violence relationnelle
Jeudi, elle confessait être partie puiser à l'intérieur d'elle-même et dans le discours du préparateur mental de l'équipe (encore lui), expliquant avoir compris l'importance de s'ouvrir à son environnement. Elle a d'ailleurs adoré les sifflets d'un public acquis à la cause néerlandaise jeudi : «Quand on s'ouvre, on se nourrit aussi de ça.» L'éviction de Krumbholz en 2013, à l'initiative de certaines joueuses, plane sur une équipe qui a vu revenir en début d'année un entraîneur désormais soucieux, de son propre aveu, «de sortir de la violence relationnelle» qu'il entretenait avec l'équipe.
Après les Pays-Bas, on en a compté quatre qui lui ont rendu hommage. Dont l'ex-double meilleure joueuse du monde Allison Pineau ou encore Lacrabère, révélant que le staff sautait les repas et dormait «deux à trois heures par nuit» pour travailler. On ne saurait trop dire si c'est l'alignement des planètes qui amène la victoire ou si c'est la victoire qui a comme vertu d'aligner les planètes. Les acteurs penchent souvent d'un côté (le premier), les observateurs de l'autre. C'est peu dire qu'elles se ficheront du sens dans lequel ça fonctionne si elles deviennent championnes olympiques samedi.