Jeudi, au moment des présentations, les favoris de la finale du 200 mètres ont tous fait un petit signe à la caméra, voire même un tout-petit, pour se pavaner. Christophe Lemaitre, lui, rien. Sur le grand écran du stade olympique, on aurait cru qu'il avait été filmé en traître. En sous-titres, ça donne un «bon, ben faut y aller», qu'il confirmera en zone mixte : il était pressé que ça se termine. Mauvaise nuit, trop longue journée dit-il. Une fois la course terminée, les médaillés d'or (Bolt) et d'argent (De Grasse) se sont affichés très vite sur le grand écran et puis, il y a eu un mini-supense pour le bronze. C'est finalement Lemaitre, pour quelques millièmes, après un excellent finish - sa grande force. Il est tombé par terre dans la foulée, mais sobrement. Comme on fait son lit on se couche, quelque chose comme ça.
«Il ne se pose jamais trop de questions»
Juste avant Rio, on avait échangé avec Ghani Yalouz, son Directeur technique national (DTN), à son propos. Depuis deux ans, le sprinter donnait l'impression de s'enterrer tout doucement. Blessures, contre-performances, déceptions, parce qu'il n'arrivait même plus à régner sur le 200 mètres à l'échelle continentale. Parce qu'on l'a vu prendre le bronze sur la distance aux Mondiaux de 2011 à Daegu, on se disait qu'il pouvait aller plus loin au regard du potentiel, sauf qu'il ne l'a pas fait. Où est-il ? Qu'est-ce qu'on lui dit pour le secouer ? Quelle ambition avec lui ? Yalouz avait beaucoup philosophé, avant de glisser une phrase qui peut vouloir dire plein de choses à la fois, même après coup : «L'avantage avec Christophe, c'est qu'il ne se pose jamais trop de questions.» Peut-être que ça le crispe moins ou bien, que ça l'a freiné à un moment dans sa progression. Qu'il a perdu du temps et que s'il gambergeait, il serait plus haut. Même le DTN n'en savait trop rien, évoquant la génétique en essayant de décortiquer tout haut sa gamberge.
On est allé à Rio avec quelques chiffres dans la tête, qui sur le papier, faisaient de Lemaitre un finaliste honorable sur 200 mètres, voire un tout petit peu plus : depuis 2012, il n'avait jamais couru en dessous des 20 secondes. Sur 100 mètres à Rio, où il était engagé, il est resté bloqué en demies. On y est allé avec les questions qui restent, même quand un officiel ou un spécialiste vous file une réponse. Pourquoi reste-t-il s'entraîner dans son coin en Savoie alors qu'il n'a pas l'air de progresser ? Après la course, il dit que si ça avait foiré, il aurait assumé. Que Pierre Carraz, 76 ans, son coach de toujours, avait les moyens de le faire progresser. Juste avant de s'arrêter en face des micros, il a fait une petite blague, feignant d'escalader un petit grillage. «Merde, la presse française.» C'était à peine taquin. Et il a raconté sa course comme s'il avait des petits enfants en face de lui. En choisissant les mots et en y mettant plein d'anecdotes, pour n'endormir personne.
«Le TGV de Culoz»
Lemaitre est un drôle de mec, parce qu'il donne l'impression, le soir, après la compétition, d'aller roupiller dans un autre monde que celui des sprinters. Ce n'est pas qu'il n'a pas leur dégaine, c'est juste qu'il est tellement connecté à nous, les profanes, qu'on ne comprend pas. Plus l'habitude. Même ses surnoms sont normaux. «Le TGV de Culoz», tiens. On dit ça d'un voisin qui refuse de prendre le bus pour aller au boulot, pas d'un garçon qui jeudi soir, était collé au couloir d'Usain Bolt, puis assis à sa gauche en conférence de presse. Qui a fini en 20"12 (20"116 plus exactement, ce qui le place devant le britannique Adam Gemili, 20"119), loin de son record personnel (19"80) mais il l'a dit lui-même aux journalistes : il faut juste courir plus vite que celui qui finit 4e pour finir sur la boîte. Le reste, ce sont des chiffres.
Lemaitre a parlé de résurrection, moins de revanche, même s’il a longtemps cavalé pour cette raison-là : gamin, il était moqué pour sa dégaine, son côté solitaire et son cheveu sur la langue. Quand il a commencé à vraiment marquer le pas à partir de 2012 (champion d’Europe sur 100 mètres), il ne pouvait même plus actionner ce levier. Même si la confiance en lui a commencé à s’effriter - genre «mec qui s’est paumé pour une raison inconnue»-, Lemaitre a toujours suscité de la sympathie. Le genre de sportifs à qui on n’en veut pas vraiment, parce qu’il ressemble à tout le monde et qu’il n’a jamais pris la tête à personne. Qu’il n’a jamais marché dans l’étiquette du «premier sprinter blanc à avoir couru en dessous des 10 secondes sur 100 mètres» (en 2010, aux championnats de France), ni dans aucune autre d’ailleurs. Il a toujours été loin. Dans son coin, c’est tout.