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Rio

UK Sport, la machine à médailles

Jeux olympiques de Rio 2016dossier
Après le désastre d’Atlanta en 1996, le Royaume-Uni a mis en place une politique qui lui permet de rivaliser avec la Chine. Décryptage d’un système qui gagne.
Le couple de cyclistes britanniques Laura Trott et Jason Kenny, tous deux médaillés d’or. (Photo Odd Andersen. AFP)
publié le 19 août 2016 à 19h51
(mis à jour le 25 août 2016 à 15h54)

Les sportifs britanniques rentreront de Rio la tête haute. Si la grandeur du Royaume-Uni est peut-être menacée par le Brexit, dans le domaine olympique, elle se consolide de Jeux en Jeux.

«Je pense que nous avons toutes les chances d'entrer dans l'histoire et de revenir avec une nouvelle génération de héros», se targuait début août Mark England, chef de mission de la délégation britannique. Vendredi, ses athlètes pointaient à la deuxième place du classement des médailles (22 en or, 21 en argent et 13 en bronze). Un record pour le Royaume-Uni qui n'avait jamais fait aussi bien dans un pays étranger. Un palmarès d'autant plus remarquable qu'il y a vingt ans, les Britanniques repartaient des JO d'Atlanta avec une seule médaille d'or, arrachée par les rameurs Matthew Pinsent et Steve Redgrave, et dégringolaient à la 36e place du classement.

Mais 1996 n’est plus qu’un mauvais souvenir. Après leur «Sensational Sunday» du 14 août, où ils ont remporté 5 médailles, les Britanniques se sont hissés à la deuxième place derrière les Etats-Unis, dépassant ainsi le monstre olympique qu’est la Chine - les médias locaux n’ont pas apprécié cet affront.

Loterie

Comment, en vingt ans, le Royaume-Uni est-il passé de la queue à la tête du peloton ? L'argent y est pour quelque chose. Après la douche froide d'Atlanta, «le gouvernement et la British Olympic Association ont décidé de prendre les choses en main», raconte Borja García, professeur de management sportif à l'université de Loughborough. En janvier 1997, un organisme indépendant, UK Sport, voit le jour. Son rôle consiste à distribuer les fonds publics et l'argent de la loterie nationale aux différentes disciplines. Au fil des Jeux, ces sommes ont considérablement augmenté. En 2000, les athlètes de Sydney ont bénéficié d'un peu moins de 59 millions de livres (68 millions d'euros), alors que près de 350 millions (404 millions d'euros) ont été versés pour préparer ceux de Rio.

En plus de brasser beaucoup d'argent, UK Sport est une véritable machine à médailles. Son approche est «froide, brutale, calculée, rationnelle, sans compromis… mais efficace», pose Borja García, avant de reconnaître que «leurs prédictions sont toujours très bonnes». Pour chaque JO, l'organisme établit des priorités : il verse plus d'argent aux sports susceptibles de rapporter plus de médailles et tranche en fonction des performances aux Jeux précédents. Par exemple, la natation a reçu 20 millions de livres (23 millions d'euros) pour les Jeux de Rio, soit 5 millions de moins que pour ceux de Londres. La raison en est simple : en 2012, les nageurs n'ont pas atteint l'objectif fixé par UK Sport, leur part a donc été rognée. Mais comme le nageur Adam Peaty et ses collègues ont décroché six médailles à Rio alors que l'objectif était fixé à cinq, la somme accordée à la natation devrait augmenter pour les prochains Jeux de Tokyo en 2020.

«Le problème, c'est que des sports de masse comme le basket reçoivent de moins en moins d'argent, notamment parce qu'il y a moins de médailles à gagner, au profit des sports d'élite, comme la natation, l'aviron ou la voile, souligne Borja García. D'un autre côté, ce système met beaucoup de pression aux athlètes, aux coachs, aux fédérations, et entraîne des risques de conflit. On l'a vu avec le cyclisme cette année.»

Suspicion

«Dopés» par les plus de 30 millions de livres alloués à leur discipline, les pistards britanniques se sont surpassés de l'autre côté de l'Atlantique en décrochant six médailles. Provoquant quelques suspicieuses levées de sourcils. «Je ne veux pas accuser qui que ce soit de quoi que ce soit, mais c'est certainement discutable», a sifflé la cycliste allemande Kristina Vogel. «J'ai ma petite idée mais je ne vais pas réagir à chaud», a lâché le Français Michaël D'Almeida avant que son coach Laurent Gané n'ajoute son grain de sel : «Ce sont des équipes qui ne font rien d'extraordinaire pendant quatre ans et, arrivées aux Jeux, elles surclassent tout le monde. C'est la première fois que je vis les Jeux en tant qu'entraîneur et je vois des choses…»

Ces insinuations ne viendront pas gâcher l’euphorie des Britanniques qui, en attendant le retour de leurs athlètes, s’extasient devant le pactole doré du couple de cyclistes Laura Trott et Jason Kenny, ou devant la grand-mère extatique du nageur Adam Peaty. Et elles n’entameront certainement pas le bonheur de certains pro-Brexit pour qui l’exploit britannique est bien la preuve que la Grande-Bretagne est grande, même en dehors de l’Union européenne.