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André De Grasse, la relève qui tombe à pic

Jeux olympiques de Rio 2016dossier
Le Canadien, qui partage le même sponsor que Bolt, repart avec trois médailles et pourrait incarner l'avenir du sprint en quête de nouvelles figures médiatiques.
André De Grasse à l'arrivée de la demi-finale du 200 mètres le 17 août, à côté de Usain Bolt. (Photo Dylan Martinez. Reuters)
publié le 20 août 2016 à 9h13

Il doit bien y avoir une église à Scarborough (Ontario), ville natale d’André de Grasse, ou une chapelle, ou un truc où aller allumer un cierge. Et les pontes de la fédération internationale d’athlétisme (IAAF) pourront y faire un tour en rentrant de Rio. L’éclosion du Canadien dans le paysage du sprint, principale vitrine de l’athlé, est une bénédiction. De Grasse avait déjà pris le bronze sur 100m à Rio, l’argent sur 200m. Vendredi soir, la maladresse des Américains - troisièmes du relais 4x100m mais disqualifiés - lui a offert un nouveau bronze avec l’équipe canadienne. Derrière les trois titres de Bolt, il est l’homme qui monte. Ce qui tombe bien car Bolt, lui, amorce sa révérence.

Il faut mesurer ce que serait le paysage de l’athlétisme sans Bolt, son aura, ses défis, ses records. Les affaires de dopages poussent comme des champignons d’automne. Les Russes sont tricards, les Kényans mouillés jusqu’au cou, le coach de la star éthiopienne du demi-fond Genzebe Dibaba s’est fait choper en juin dans un hôtel en Espagne avec suffisamment de seringues pour vacciner tout un village. Tout part en eau de boudin. Le sprint n’est pas mieux portant, même si Justin Gatlin, qui incarne le grand méchant-dopé a l’immense mérite de jouer les paratonnerres et de faire oublier le bruit des casseroles dans les autres couloirs. Or, ça tinte comme un concert de cymbales.

«Bromance» de fin de course

Sur les 30 meilleures performances de tous les temps sur 100 m, 21 ont été réalisées par des athlètes qui ont été suspendus (Gatlin, donc, mais aussi Tyson Gay, Yohan Blake, Asafa Powell, tous présents hier au stade olympique pour le relais 4x100m). Les neuf restantes appartiennent… à Usain Bolt. Bref, la superstar, tel Atlas, porte le bousin sur ses épaules. Mais va bientôt tout lâcher. Et après? Il faudra plus qu’un numéro de claquette pour meubler. L’athlé se cherche des stars en devenir. Et voilà donc que déboule André de Grasse, 21 ans, aussi cool que Bolt, bonne tête, casier vierge, et trois médailles au compteur. Qui dit mieux? Le Canadien avait fait causer en juin 2015 lors des championnats universitaires américains en courant un 100 m trop venté (+2,7 m/s quand la limite est 2 m/s) en 9’’75, et un 200 m (+2,4m/s) en 19’’58.

A Rio, il a fait mieux que confirmer. Il y a surtout mis la manière en offrant cette image qui a dû embuer les yeux du côté de l'IAAF et du CIO. En demi du 200m, De Grasse s'est permis l'insolence d'essayer d'aller chercher Bolt sur la fin de course, lequel, voyant le Canadien revenir à hauteur, a commencé à taper la discussion avec lui. «Pourquoi tu cours si vite, c'est qu'une demi?». Et les deux hommes ont fini la course en se marrant, en 19''78 pour Bolt, et en 19''80 (record battu) pour De Grasse. La photo de ces taquineries à 40 km/h est un hit des jeux, et on n'a parlé pendant 24 heures que de la «bromance» (mélange de «bro», pour frangins, et de romance) entre les deux hommes. On est entre les Chariot de feu et les Feux de l'amour, même si Bolt a un peu râlé, et mis sa performance moyenne (19''78) en finale du 200m sur le compte de l'inutile effort auquel De Grasse l'a contraint en demi.

Il faut préciser que cette superproduction, qui s’impose comme une des images de Rio 2016, est une coproduction. Une joint-venture avec Puma, le sponsor historique de Bolt. Et qui s’avère être celui de De Grasse depuis décembre dernier. Alors que De Grasse se tatait pour finir sa dernière année universitaire à Southern California, Puma a mis la griffe sur l’espoir via un contrat pluriannuel de 11 millions de dollars (jusqu’à 30 avec les bonus). On est loin des 10 millions par an que toucherait Bolt, mais c’est le plus gros premier contrat signé dans l’athlétisme. Le deal a été signé par Doyle management, qui représente depuis peu le Canadien, et gère les intérêts de plusieurs grosses stars du plateau (Ashton Eaton, Asafa Powell, l’espoir de la perche Shawn Barber).

«Il va être bon, il court comme moi»

Que Bolt et De Grasse courent dans la même écurie (Puma les a réunis dans une pub en février) explique en bonne partie le cirque observé entre les deux hommes sur la piste, et aussi en dehors. En salle de conférence de presse après le 100m, l'image était saisissante : Bolt au milieu des deux autres médaillés. A sa droite, Justin Gatlin (par ailleurs chez Nike) qui se raclait la gorge avant de parler et donnait l'impression de pas avoir été invité. A sa gauche, on avait l'impression que De Grasse, vaguement avachi dans son fauteuil et rigolard, était dans le salon de Bolt, et aurait tapé des nuggets dans la boite de neuf du Jamaïcain s'il en avait eu une. «Il va être bon, il court comme moi», a déclaré Bolt à la chaîne canadienne CBC. Bon, De Grasse (ni personne) ne remplacera pas Bolt. Mais le Canadien peut faire office de poster boy de choix dans le futur, et a les armes pour guigner le sommet des podiums que le Jamaïcain va bientôt déserter. Quoi que ça donne par la suite, c'est un coup de pif d'avoir signé De Grasse avant les Jeux, et d'avoir pu mettre en scène en mondiovision le premier épisode de ce que Puma rêve être une passation de pouvoir.