Menu
Libération
Profil

Trefilov, le père fouettard du handball russe

Jeux olympiques de Rio 2016dossier
Le mythique entraîneur a conduit ses joueuses au titre olympique.
Evgueni Trefilov pendant la finale. (Photo Javier Soriano. AFP)
publié le 21 août 2016 à 8h38

Evgeni Trefilov est le pharaon du handball. La terre tourne, l’Union soviétique explose, la Russie est au bord de l’exclusion pour fait de dopage et le natif de Krasnodar, décoré de l’Ordre du mérite pour la Patrie au fil de ses pérégrinations handballistiques, est toujours dans le paysage. A pourrir des générations de joueuses et joueurs russes, à les humilier en plein match, à faire répéter seul une de ses ouailles dans un gymnase vide parce que l’entraînement est fini depuis deux heures et les autres sont chez eux.

Samedi, Trefilov a atteint une forme de consécration. Après 18 ans à la tête de la sélection féminine, ses joueuses lui ont donné face aux Bleues (22-19) son premier titre olympique, après quatre titres mondiaux enquillés en 2001, 2005, 2007 et 2009. Autant dire qu’on était tout chose quand on a vu l’entraîneur russe, précédé par une panse de pacha oriental, venir commenter la victoire de Anna Vyakhireva, Polina Kuznetsova et consorts.

Première question, sur le sens d'une victoire aux Jeux, donc : « Les Jeux, c'est tous les quatre ans. Un championnat du monde, c'est tous les deux, trois ans. Donc les JO, c'est mieux. En plus, c'est un espace démocratique. Tout le monde participe à la quinzaine olympique. Vous ne trouvez pas que c'est bien ? » Une allusion aux menaces d'exclusion de la délégation russe au complet avec la compétition : ses compatriotes journalistes éclatent de rire. Le show Trefilov commence.

Sur son management : le monde change, les joueuses aussi, n'a-t-il pas dû amender son côté impitoyable et dirigiste pour coller à son époque ? « Bien sûr. C'est comme quand on naît. On n'a pas de cheveux. Puis, les cheveux poussent, on change. La direction d'une équipe, c'est un peu pareil. En parlant de ça, on a un proverbe en Russie : plus de cheveux, c'est aussi moins d'esprit [une variante du "cheveux long, idées courtes", si l'on a bien saisi]. Voilà pour mon management. »

Tombe une question qui, enfin, l'énerve : un propriétaire de club de foot russe ayant récemment expliqué que le coach faisait 10% du résultat, les joueurs 85% et le président 5%, il répond quoi ? « Mon pourcentage à moi, c'est 10% de talent et 90% de travail. Mais c'est bien que vous me parliez de foot. On vire des entraîneurs russes, on prend des étrangers à leur place et on croit qu'on va améliorer les choses. Les entraîneurs russes travaillent pour la Russie. Les coach étrangers travaillent pour eux-mêmes. »

Voilà. C’est l’ancien monde vu d’ici, mais c’est aussi sans doute la Russie d’aujourd’hui. Dès son premier ballon, qu’elle avait eu la négligence de relancer dans les chaussettes – et non les mains – de sa coéquipière, la gardienne Tatiana Erokhina s’est faite insulter. C’est peut-être pour ça qu’elle a ensuite claqué un match à 39% d’arrêts, mais peut-être pas. Coupable d’avoir raté un penalty, Ekaterina Ilina n’a plus revu le parquet pendant quinze minutes, se morfondant sur le banc.

Par un effet expressionniste, les joueuses de Trefilov font comme lui : pendant la finale, les Françaises ont mangé chaud. Alexandra Lacrabère a dû quitter le match avant terme pour une entorse acromio claviculaire, qu'elle imputait à mots (à peine) couverts à l'agressivité adverse. Les coups de coudes partaient dans tous les coins. Et on confesse avoir eu peur pour Allison Pineau, découpée sans que les arbitres n'y trouvent à redire. « C'est le jeu russe, expliquait, fataliste, Gnonsiane Niombla après le match. On n'allait pas tomber là-dedans, ce n'est pas nous. Mais certaines ont pris cher. » Le sélectionneur tricolore Olivier Krumbholz : « C'est le jeu russe, c'est le hand, c'est une finale... En défense, l'équipe de France n'avait pas des brouettes [sic] non plus. Si on a pris des coups, c'est aussi parce qu'on a trop porté la balle, par manque de fraîcheur, de mobilité... »

Tout le camp tricolore était sur cette ligne-là. Manière aussi, après avoir su gagner, de montrer qu'elles savaient perdre. Devant les journalistes russes, Krumbholz a cependant glissé qu'il regrettait « les blessés lors de cette finale ». L'épopée tricolore s'est achevée là-dessus. Les derniers mots d'Evgeni Trefilov ont été, eux, pour la presse : « Ecrivez bien ce que j'ai dit. Je suis précis quand je parle. Quand je parle à une femme, je veux toucher son cœur. C'est pareil avec vous. Et aussi un peu différent. »