Pour une première, il a presque atteint le sommet… de la Belgique. Le circuit vallonné de Spa-Francorchamps - pour une fois épargné par l’ondée -, où la F1 reprend son rythme après la pause estivale, n’est situé qu’à quelques encablures (une dizaine de kilomètres) du point culminant du pays, le signal de Botrange, sur le plateau des Hautes-Fagnes : 694 mètres, auxquels ont été rajoutés six mètres d’escalier, histoire d’accéder quand même aux 700 mètres…
Il, c’est Esteban Ocon, Français de 19 ans qui fait ses débuts en Grand Prix à Spa ce week-end avec la petite équipe Manor, motorisée par Mercedes. Il est un des trois «locaux» de l’étape ardennaise (faute de Grand Prix de France), avec le Belgo-Néerlandais de chez Red Bull, Max Verstappen (faute de Grand Prix là-bas aussi), et le Belge Stoffel Vandoorne, pilote de réserve chez McLaren. Trois jeunes hommes qui font figure de solides espoirs pour la F1 dedemain, et qui sont emblématiques du fonctionnement des filières d’accès au plus haut niveau.
Esteban Ocon a débuté le karting à 4 ans et demi. Pourtant, pas d'antécédent familial dans les sports mécaniques, mais un père mécanicien et «très doué avec ses mains», selon le jeune homme, et qui restera son principal support technique «jusqu'en 2011». Le nouveau pilote Manor, brillant en karting, a été repéré dès ses 12 ans, en 2009, par la structure Gravity Sport Management, sous la houlette d'Eric Boullier (depuis devenu directeur chez Lotus puis McLaren) et Gwen Lagrue, aujourd'hui à la tête du programme de jeunes pilotes chez Mercedes, après l'avoir été chez Lotus. Alors qu'Esteban Ocon fait passer ses études au second plan - il a validé ses «deux dernières années scolaires, de 14 à 16 ans, via le Centre national d'enseignement à distance» -, Gravity le prend sous son aile. «En plus des résultats, on repère un très jeune pilote à des signaux forts communs à tous les champions, sur la base d'un feeling, des valeurs, d'une maturité. Dans le cas d'Esteban, il y avait dès le départ un calme, une maîtrise de son environnement, du stress, de la pression en fonction des événements», détaille Gwen Lagrue.
«Obole»
De fait, le principal intéressé ne dit ressentir «aucun stress» pour ce premier Grand Prix : «C'est bizarre… Tant mieux.» Et ce malgré de récentes vacances à Hossegor (Landes) où on lui «a volé sa montre» et «tagué sa voiture», et malgré la difficulté de débarquer en cours de saison, qui plus est au côté de l'Allemand Pascal Wehrlein. Cette autre jeune pousse talentueuse a été placée en couveuse chez Manor par Mercedes (il a remporté le très relevé championnat allemand des voitures de tourisme DTM en 2015 et a déjà marqué un point cette saison, une sorte d'exploit au volant d'une Manor). «J'ai connu des périodes dures, d'autres faciles ! On apprend que ça marche mieux sans stress», évacue simplement Ocon.
«Sans le soutien financier de Gravity Sport Management, en 2009, tout se serait arrêté là car mes parents n'auraient pu financer la suite», raconte Ocon. «Avant même d'arriver en F1, le coût du parcours depuis le karting jusqu'aux dernières formules de promotion [GP3, GP2…] est compris entre 5 et 8 millions d'euros, précise Gwen Lagrue. Les équipes qui accueillent les jeunes pilotes dans les catégories inférieures à la F1 ont besoin qu'ils apportent leur obole, via leurs sponsors ou leur filière, ou les deux. Mais l'accompagnement n'est pas que financier, nous apportons un soutien dans les relations, dans la préparation physique…» Ocon remportera le titre F3 Euro Series en 2014 (devant un certain Max Verstappen), et celui du GP3 en 2015, année où il passe dans le giron de Mercedes. Pilote de réserve Renault au début de cette saison, il a été titularisé chez Manor en remplacement du premier pilote indonésien de l'histoire, Rio Haryanto, dont certains sponsors ont fait défaut. Situation étonnante que celle d'Ocon, qui voit deux rivaux en F1 (Mercedes et Renault) se le partager. Une preuve du talent qu'on lui prête.
La marque française aime en effet placer ses œufs dans différents paniers. Une main sur Ocon, même s'il est, rappelle Gwen Lagrue, «sous management Mercedes, prêté à Renault», et une autre, de fait, sur Verstappen, en tant que motoriste de Red Bull, équipe devenue depuis plusieurs courses la principale concurrente de Mercedes.
A Francorchamps, Verstappen est la star. Son nom s’étale en grand sur moult véhicules dans les campings, et l’épreuve belge connaît son record de réservations depuis 2001. Le Néerlandais, plus jeune pilote en F1 l’an dernier du haut de ses 17 ans (l’âge minimal a été relevé à 18 ans depuis) est chez Toro Rosso, la couveuse de Red Bull. Il a été promu après une saison et quatre courses chez cette dernière, équipe numéro 1 de la galaxie du même nom, et il a été victorieux dès sa première participation en son sein (Grand Prix d’Espagne, le 15 mai à Barcelone). Verstappen a remplacé le Russe Daniil Kvyat, 22 ans, rétrogradé chez Toro Rosso (où il avait lui aussi entamé sa carrière, en 2014). Ce dernier n’avait mis qu’une saison à passer du petit taureau au grand, damant le pion à son équipier d’alors, le Français Jean-Eric Vergne (qui aura fait trois saisons chez Toro Rosso, durée maximale que Red Bull donne aux pilotes pour faire leurs preuves), déjà doublé par Daniel Ricciardo fin 2013. Il s’est depuis reconverti en Formule E (les «F1 électriques»). Kvyat, lui, se voit ainsi fortement menacé par la montée en puissance d’une nouvelle recrue du Red Bull Junior Team, le Français Pierre Gasly, actuellement en tête du championnat GP2. Red Bull, son univers impitoyable, a vu des pelletées de jeunes pilotes passer ainsi à la trappe…
Crémerie
Pour progresser dans le Red Bull Junior Team, il faut qu'il y ait de la place au-dessus et être meilleur que son coéquipier (et ça ne se mesure pas uniquement au nombre de points marqués, comme peut en témoigner Jean-Eric Vergne). Et la rotation est intense au sein même du team Junior. Ainsi, le Britannique Alex Lynn n'y a passé qu'une année, en 2014. Bien que champion GP3 cette saison-là, il a changé de crémerie. Aujourd'hui, il est pilote d'essai Williams ; un bilan pour le moment mitigé en GP2 pourrait sonner le glas de ses ambitions. Red Bull a poussé la logique jusqu'à n'avoir que des pilotes issus de sa filière (l'Australien Mark Webber, retraité fin 2013, était le dernier des exogènes recensés au sein de cette galaxie) : l'Australien Daniel Ricciardo et Max Verstappen chez Red Bull, l'Espagnol Carlos Sainz Jr et le Russe Daniil Kvyat chez Toro Rosso. Avantages : un contrôle total de la situation, l'embarras du choix avec la production régulière de pépites (Vettel, Ricciardo, Verstappen…) et des émoluments moins élevés que ceux des champions établis (Alonso, Hamilton…). Pour Gwen Lagrue, «on peut comparer les filières de jeunes pilotes aux centres de formation d'autres sports, comme le football, avec des contreparties financières lors des transferts».
Remplacement
McLaren-Honda est un autre cas de figure, celui d’un top team qui ne dispose pas d’une «équipe B» (si Toro Rosso est celle de Red Bull, Manor n’est pas la propriété de Mercedes, mais elle l’est de fait avec Wehrlein et Ocon). L’équipe anglaise a sous contrat Stoffel Vandoorne, 24 ans, vice-champion GP2 en 2014 et champion de manière écrasante en 2015 au sein du français ART. Mais comme le duo Fernando Alonso-Jenson Button continue de tenir la route chez McLaren, le Belge est prié de patienter. Pour son bien, peut-être. Le précédent du Danois Kevin Magnussen, titulaire chez McLaren pour sa première saison en F1 mais débarqué au bout d’un an, rappelle à quel point il peut être risqué de débuter dans une grosse équipe. Vandoorne, lui, a tout de même une belle prestation à son actif - pour son seul Grand Prix à ce jour -, à Bahreïn en avril, en remplacement d’Alonso blessé. Il avait devancé Button aux essais et marqué un point.
En attendant un poste de titulaire, Vandoorne a trouvé un petit boulot : il a fait chauffeur Uber à Bruxelles mercredi soir durant quelques heures avec une McLaren 570S, dans le cadre d’une campagne contre l’alcool au volant menée par Johnnie Walker. Là, au moins, personne pour lui piquer pour sa place.