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Libération
Reportage

Au camping de Spa, «ils respectent pas les nonante-cinq décibels»

Dans une ambiance musicale aussi assourdissante qu'éclectique, le GP de Belgique attire des fans de F1, et particulièrement du pilote néerlandais Verstappen. Mais pas que.
(Photo Thierry Thirault)
publié le 27 août 2016 à 18h31

La soupe. Le culte à un pilote néerlandais de 18 ans, des braseros à gogo, des feux d'artifice, des piscines plus ou moins improvisées (telle cette remorque où marinaient cinq gaillards vendredi soir parmi bien plus de bouteilles) et la soupe. Voilà ce qui ressort des campings éphémères du circuit de Spa-Francorchamps, pour la 13e épreuve du championnat de monde de F1. En revanche, comme le précise un panneau, il est interdit de se prostituer, de faire des affaires, d'apporter des armes…

La soupe? Non, il ne s'agit pas de celle dans laquelle patauge tout un chacun très souvent ici, au milieu des grumeaux de boue (cette année, ce serait plutôt la sueur), au gré du climat pluvieux du secteur. On parle ici de celle, aux (petits) oignons, servie le soir à la buvette par des bénévoles. Une authentique gageure, vu le cagnard… Mais on pense aussi et surtout à celle déversée tous les soirs par les différentes sonos (officielle ou privées), ambiance boîte de nuit mainstream. On n'est pas au Hellfest ici… Heureusement, de cette soupe primordiale de l'univers émergent quelques étoiles brillantes, telle cette énorme tente pleine de Néerlandais made in Max, où on balançait du Rammstein vendredi soir. A la bonne heure… Mais encore entend-on un morceau de Pink Floyd au lointain, et on remercie Stoffel Vandoorne, le jeune régional de l'étape d'avoir des fans qui font la sieste en écoutant The Number of the Beast, d'Iron Maiden. On notera également une excellente prog rock toute la matinée du samedi à la buvette, grâce leur soit rendue.

Fricadelles, boulettes, poulycrocs, cervelas, viandelles

Le soir, près de l'entrée des Combes, au sud-est du circuit (là où chaque jour jusqu'à midi, la masse des spectateurs fait une longue et lente queue, «première année qu'on voit ça, c'est à cause de la sécurité», observe une bénévole de la buvette), quelques dizaines de personnes se trémoussent sur la musique crachée par la sono. Essentiellement des hommes, les mâles pesant 90% du public. Eddy, dans les 55 ans, blouson de motard (comment fait-il?), casque posé sur le comptoir de la camionnette-friterie (où l'on trouve des fricadelles, boulettes, poulycrocs, cervelas, viandelles) de son amie Claudy, la soixantaine, peste: «Ils respectent pas les nonante-cinq décibels, ils sont à 120…» Eddy est intarissable sur le fait d'armes de sa vie, le Bol d'Or 1982, au Castellet (Var) où, engagé sur une «Ducati, il y en avait trois, la nôtre est la seule à avoir terminé», il a, avec ses coéquipiers - «une équipe allemande, deux pilotes anglais et moi»-, «gagné une quarantaine de places entre le départ et l'arrivée». Il cherche à ce sujet désespérément un numéro de l'époque de Moto Revue (la version avec l'encart belge) où on le voit en photo. Si vous avez ça, contactez Libération. A l'époque mécano à son compte, «coulé par les impôts», il a ensuite été pompiste durant une vingtaine d'années, «avec des vitres renforcées car on se faisait souvent braquer». Il n'assiste pas au Grand Prix, «trop cher», mais profite de l'accès libre au camping en début de week-end.

Quelques mètres plus loin, on croise Célia et Florie, 21 ans toutes deux, venues de la voisine Malmedy. Célia vient de finir ses études en juin. La F1? Elle «n'y connaît rien», cela «ne l'intéresse pas», et elle n'a donc pas de ticket, comme Eddy. Elle est venue «faire la fête». Florie, bénévole à la buvette, «vendeuse au Luxembourg», préfère «le rallye, plus spectaculaire». Elle a ainsi déjà «discuté avec [le pilote belge, vice-champion du monde derrière Sébastien Ogier en 2013] Thierry Neuville».

Verstappen en dieu hindou

Plus convaincus de la cause, les Néerlandais, en nombre sur le camping, avec parfois des installations spectaculaires. Il y a deux catégories, les anciens, et les newbies, venus parce que Max Verstappen a gagné le Grand Prix d'Espagne en mai au volant de sa Red Bull. Mais ils sont difficiles à distinguer, car les deux vénèrent le nouveau Dieu de la même façon, avec force drapeaux hollandais arborant un «Max Verstappen» imprimé dans le blanc. Tel ce groupe de sept hommes, se rendant à Spa chaque année depuis «on ne sait plus combien de temps, dix ou quinze ans», qui ont installé une petite piscine de jardin et délimité leur emplacement par une spectaculaire barrière de canettes, en constante croissance, et ventres à l'avenant… Une autre tribu, plus impressionnante encore, habituée également depuis plusieurs années, compte 50 à 60 personnes. Venus avec des camions, ils ont installé des fauteuils de salon sur l'herbe, une sono, des spots, des échafaudages, une statue de dieu hindou soulignée du nom du pilote pour se recueillir à tout moment. Et Dieu vint à eux vendredi au couchant… Verstappen a en effet débarqué au camping des Combes pour saluer ses fans, admirer leurs "œuvres" et se prêter aux sessions photos.

Non loin, trois jeunes Irlandais, Harry, William et Oliver, l'un étudiant, les deux autres dans la restauration, venus de Galway, font griller des saucisses. Eux aussi «espèrent que Verstappen [pilote le plus jeune de l'histoire de la F1 en première ligne d'un Grand Prix ce week-end, aux côtés de Rosberg, en pôle] va gagner» car, sinon, ils «craignent la réaction de leurs voisins (de tente) hollandais», qui ont peu goûté d'être enfumés par leur feu de camp. Verdict dimanche à 16 heures.