Les grimpeurs se cramponnent à la résine d’un mur artificiel de 15 mètres de haut, installé au milieu de l’AccordHotels Arena, anciennement Palais omnisports de Paris-Bercy. Les mains blanchies par la magnésie - cette poudre conçue pour absorber la transpiration des athlètes et leur permettre de mieux adhérer à la paroi -, les 500 meilleurs escaladeurs du monde, représentant 60 nationalités, s’affrontent depuis mercredi. Un record historique de participants pour cette compétition qui comptait un quart d’athlètes de moins en 2012.
L'écrin parisien a revêtu son habit des grands soirs. La salle immense est plongée dans l'obscurité et les murs de grimpe sont éclairés par des projecteurs. Le speaker commente avec enthousiasme les performances des champions. La sono, en fond, ambiance le tout. Dans une atmosphère conviviale, les athlètes handicapés cohabitent avec les meilleurs performeurs de la planète. «Nous sommes un des rares sports au monde où toutes les catégories concourent lors d'un seul et même événement», se félicite Pierre-Henri Paillasson, directeur technique de la Fédération française de montagne et d'escalade (FFME), également vice-président de la Fédération internationale d'escalade (IFSC). Cette spécificité a son importance pour Mathieu Barbe, qui souffre d'une grave déficience visuelle et vient de se qualifier pour la finale des non-voyants. «Le fait que nous soyons considérés sur le même plan que les grimpeurs valides a beaucoup pesé dans mon choix de consacrer une partie de ma vie à l'escalade», commente l'athlète de 29 ans qui, dans ses ascensions, se fait guider par la voix de son entraîneur via une oreillette : «En compensant mon handicap par la possibilité de communiquer avec mon coach, la technologie transforme l'handi-escalade en un sport collectif.»
Depuis une dizaine d'années, la grimpe est entrée dans son ère moderne. Sur la forme comme sur le fond, tout ou presque a changé. Le temps des ascensions sur une falaise en pleine nature et l'image du sportif solitaire exerçant à demi-nu semblent désormais relever du mythe. Alban Levier, membre de l'équipe de France, est un témoin privilégié de cette évolution. «Notre sport s'est considérablement professionnalisé. On a comblé notre retard par rapport à d'autres disciplines. Nos entraînements sont séquencés et on dispose d'un équipement de haut niveau que l'on retrouve dans les compétitions internationales. Depuis deux ans, on complète même nos phases de récupération en faisant de la cryothérapie [récupération par le froid, ndlr].» Dernière nouveauté, le staff français s'est doté d'un préparateur mental en la personne de Christophe Bichet, un grimpeur reconnu dans le milieu, dont la mission est d'insuffler la hargne aux nouvelles générations.
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90 000 grimpeurs
Plus qu'une méthode, c'est tout un style qui a évolué. Les nouveaux parcours mettent à contribution l'explosivité des grimpeurs, qui ont de plus en plus recours à des mouvements vifs et élancés pour se hisser jusqu'aux sommets. «Avant, nous grimpions sur des voies longues et sinueuses alors qu'aujourd'hui les parcours sont plus courts et plus rapides, ce qui nous invite à la prise de risques», explique Alban Levier. Ainsi, longtemps perçu comme un exercice statique, l'escalade s'est trouvée une seconde jeunesse en s'imposant comme un sport dynamique et spectaculaire.
Pour ces championnats du monde, un public massif a répondu présent. Car la montée en puissance de ce sport se décline à tous les niveaux. La FFME compte aujourd'hui plus de 90 000 pratiquants, soit 40 % de plus qu'il y a dix ans. Pour Pierre-Henri Paillasson, cet engouement s'explique par la nature même de l'activité. «En escalade, où la sensation est immédiate, on retrouve des mouvements de coordination qui sont à la base de l'anatomie humaine. D'ailleurs, l'homme a toujours eu besoin de grimper, pour chasser, cueillir ou se mettre à l'abri. Depuis toujours, c'est dans ses gènes. Aujourd'hui, les gens cherchent à se retrouver, à allier le corps et l'esprit, ce qu'offre l'escalade.»
Logiquement, un business s'est développé autour de cette pratique en vogue. Outre les nouveaux licenciés dans les clubs, les néophytes pullulent dans des complexes sportifs privés qui n'hésitent pas à investir dans un mur de grimpe. C'est d'ailleurs dans l'un d'entre eux, en région parisienne, qu'Alban Levier occupe une partie de son temps. «A côté de ma licence de Staps [Sciences et techniques des activités physiques et sportives] à l'université, je travaille dans une salle qui vient d'ouvrir. Je m'occupe de créer des nouveaux parcours. Cela me permetde financer mes projets tout en étant à fond dans ma passion.» Un choix de carrière que Charlotte Durif n'a pas souhaité suivre. Cette cadre de l'équipe de France féminine, quintuple championne du monde chez les jeunes et championne du monde en combiné chez les seniors, «ne souhaite pas faire de sa passion son boulot». A côté de ses exploits sportifs, la Montpelliéraine de 26 ans prépare un doctorat en mécanique microtechnique. «J'ai su trouver un équilibre entre ma formation et une activité physique intense. Je m'entraîne environ trois heures trois fois par semaine et le reste du temps je planche sur ma thèse.»
La France fleuron mondial
Preuve que l'escalade tient le bon bout, elle fera son entrée aux prochains Jeux olympiques de Tokyo, en 2020. A Bercy, devant le mur principal, un panneau affiche fièrement les nouvelles couleurs : «L'escalade est olympique !» «C'est top ! s'exclame Charlotte Durif. C'est un soulagement et une suite logique dans l'évolution de notre sport. Cela montre que l'escalade a un vrai intérêt. C'est un sport de haut niveau comme un autre et les JO vont nous apporter la médiatisation qui nous manquait.» Alban Levier, lui, «ne réalise pas trop» : «Ça va être un moment génial à vivre. Du monde va nous regarder, j'ai hâte. J'espère vraiment y être.» Pour Pierre-Henri Paillasson, l'accession aux JO «n'est qu'une étape dans le développement de la discipline». «C'est un coup d'accélérateur, certes, mais on doit encore progresser. On va tout faire pour que cet événement soit un succès. On veut montrer que l'escalade peut aussi être un show.» Une ultime phase de progression impulsée en Asie. Même si la France reste le fleuron mondial de l'escalade, le Japon, la Corée et la Chine accélèrent le pas. Leurs représentants gagnent régulièrement et les tournois y sont diffusés en direct.
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Quant aux Jeux olympiques, reste à définir quel format sera adopté pour ce sport qui ne décernera que deux médailles, une pour les femmes, une pour les hommes, alors qu’il se compose de quatre épreuves. «C’est une question cruciale sur laquelle nous travaillons, concède Pierre-Henri Paillasson. Pour cela, nous devons faire évoluer nos règles, les rendre plus lisibles aux yeux du grand public. C’est bien là toute la difficulté, car changer une virgule dans un règlement devient vite très compliqué. C’est notre prochain défi. Dans quatre ans, tout doit être parfait.»