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Coups bas

Lobby, petites vieilles et espoir: le MMA, c'est compliqué

Dans un rapport commandé il y a des mois, deux députés proposent d'autoriser en l'encadrant ce sport controversé. Le ministère des Sports les a court-circuités en l'interdisant de fait.
La Polonaise Joanna Jedrzejczyk lors d'un combat pour le titre de championne du monde de MMA à Berlin, en juin 2015. (© Laurent Troude)
publié le 9 novembre 2016 à 11h07

Mardi, deux parlementaires, Patrick Vignal (PS) et Jacques Grosperrin (LR), ont présenté leur rapport sur la situation du MMA (Mixed Martial Arts) en France, le sport de combat au succès dingue (pour son côté complet, genre héros dans les films d’action), à la réputation cabossée (trop hardcore pour certains) et surtout, au statut juridique flou : les compétitions sont interdites, mais pas les entraînements. Dans la salle de conférence d’un bâtiment de l’Assemblée nationale, on a écouté les propositions - la création d’un Observatoire d’ici janvier pour structurer la discipline dans les trois ans à venir - , le pragmatisme - il y a de l’argent à se faire, notamment sur les droits télé - et les réactions des principaux concernés présents dans le public. Cyrille Diabaté, l’un des meilleurs palmarès français qui a fondé sa propre école en région parisienne, usé par vingt ans de militantisme : «Le problème vient des lobbies anti-MMA»

Personnalité visée tout particulièrement, Jean-Luc Rougé, le président de la Fédération française de judo, qui use de tous les arguments dans les médias pour diaboliser ce sport. Rougé aurait l’oreille de Thierry Braillard, secrétaire d'Etat aux Sports, qui serait flippé à l’idée que le judo (qui fait partie des huits disciplines qui composent le MMA) se fasse ringardiser - avec toute la catastrophe financière que cela engendrerait. Témoignage personnalisé de Vignal, lui-même ex-judoka : un soir, il a bu quelques verres avec Rougé, son ami, qui serait de moins en moins catégorique.

Ethique

Il y a six mois, les deux députés ont été mandatés par le gouvernement pour faire le point sur les Arts martiaux mixtes, à la suite de la tenue d'un gala au Cirque d'Hiver que la préfécture de Paris n'a pas interdit, mais que le Ministère des Sports a considéré comme hors-la-loi. Plus largement, ce dernier ne veut pas de MMA en compétition - la France et la Norvège sont les seules en Europe sur cette ligne - , arguant que frapper un homme à terre dans une cage ne correspond à aucune éthique.

Vignal et Grosperrin ont interrogé une centaine de personnes - sportifs, médecins, sociologues, journalistes - et sont arrivés aux conclusions suivantes : il y a du respect entre les combattants, toutes les catégories sociales sont représentées (ce n'est pas un sport de voyous), les coups au sol ne sont pas plus dangereux que ceux donnés debout et le monde a changé quant à son rapport à la violence. Surtout, il y a une sacrée demande. Si les chiffres sont difficilement vérifiables, il est question d’environ 30 000 pratiquants, répartis dans une centaine de clubs qui intègrent à leur enseignement les Arts martiaux mixtes, sans être forcément spécialisés, ni compétents - certains exploitent simplement le filon.

«Insulté»

Le rapport met en avant des données plus précises : la France est dans le top 5 mondial des ventes de jeux vidéos estampillées MMA et dans le top 10 dans les flux internet concernant le visionnage des combats. Le duo de parlementaires plaide pour son institutionnalisation, avec un encadrement strict, qui irait de la création de diplômes pour les coaches à la formation des arbitres, en passant par le contrôle des fonds lié à cet énorme business. En juillet dernier, l’UFC, la franchise la plus importante du MMA, a été cédée pour 4 milliards de dollars.

Concrètement, c'est un casse-tête, comme jadis le muay-thaï et que des aventures ici et là viennent encore plus compliquer. Ainsi, avant la remise de leurs conclusions au Ministère des Sports ce mardi matin, ce dernier a rendu un arrêté publié dans le journal officiel daté du 23 octobre : tant qu'un sport se déroulera dans une cage et que les gnons au sol seront autorisés - entre autres - les compétitions seront interdites. Dis autrement, cela signifie que le MMA n'est pas du tout le bienvenu. Quelques jours après la nouvelle, Karl Amoussou, l'un des meilleurs combattants français, a décidé de poser en photo avec un passeport allemand et annoncé qu'il défenderait désormais les couleurs germaniques dans les compétitions à l'étranger : «Je me sens insulté.»

Question logique : en l'état, à quoi sert donc ce rapport ? Réponse d'une voix au ministère des Sports que nous avions contacté la semaine passée : «La réflexion doit continuer. Il fallait répondre à un vide juridique. Mais ce n'est pas une réactions de vieux réacs et aucune fédération ne met une quelconque pression.»

Diagnostic en substance de Diabaté et de Tatiana Vassine, avocate spécialisée dans le droit du sport, à propos de l'arrêté : c'est une régression - il n'y avait pas de texte aussi clair jusque-là - doublée d'une drôle de coincidence. Réflexion de Bertrand Amoussou, frère de et patron d'une Fédération de MMA pas reconnue sur laquelle le futur observatoire voudrait s'appuyer : «Cet arrêté est une bonne chose : on a désormais quelque chose à attaquer».

Avant son grand oral, on avait discuté avec Patrick Vignal. Vingt minutes de punchlines. Sur le blé : «Des fédérations de sport de combat voudraient bien intégrer le MMA s'il n'arrivait pas à créer sa propre structure parce qu'il représente une manne de licenciés et d'argent importante. Sauf qu'elles sont hypocrites car elle ne le disent jamais ouvertement» (elles ne voudraient pas se mouiller étant donné la position du gouvernement). Et sur l'arrêté avant le rapport, dont le Ministre n'était selon lui pas très au fait : «Le problème en France est que l'administration commande, alors que ça devrait être le politique.» Son collègue républicain et lui ont juré qu'ils feraient tout pour couler le document. Et demandent que les guéguerres pour le leadership dans le MMA cessent pour faire l'union et donner une bonne image à ceux qui restent effrayés par des golgoths qui s'affrontent dans un octogone. Cyrille Diabaté, en pleine forme : «Je répète depuis vingt ans que je ne tape pas des petites vieilles mais personne ne nous écoute. De ce côté-là, ce n'est plus à nous de faire des efforts.»

Le paradoxe, qui consiste à interdire les galas en France, mais à pouvoir tranquillement apprendre les coups dits problématiques en club, n'a pas une égratignure. Néanmoins, un argument de poids a fini par calmer les plus sceptiques : le Ministre des sports pliera bagage dans quelques mois.