Si l’on jette un œil dans le Larousse sur la définition de ce mot utilisé à toutes les sauces et souvent galvaudé, l’aventurier est «une personne qui cherche l’aventure par goût du risque, du danger». Quant à l’aventure, c’est une «entreprise comportant des difficultés, une grande part d’inconnu, parfois des aspects extraordinaires, à laquelle participent une ou plusieurs personnes». Le Vendée Globe, course autour du monde en solitaire sans escale et sans assistance, et dont la première édition a été remportée en 1990 par Titouan Lamazou, colle clairement à la description du dictionnaire.
Alors que les 29 skippeurs sur leur monocoque de 18,28 mètres ont entamé depuis dix jours leur rotation planétaire et font route plein sud poussés par un bel alizé, reste-t-il encore de la place pour les aventuriers ? Forcément, on répond oui. Et il serait incongru de réduire ces derniers aux seuls amateurs qui plus est néophytes, le plus souvent dotés d’un budget ric-rac, d’un bateau d’un autre âge et d’une expérience limitée en solitaire. Car c’est oublier que pour tous, récidivistes bizuts et favoris compris, se mouvoir, s’habiller, dormir ou se faire chauffer une soupe dans ces «capsules spatiales» un rien anxiogènes de cinq mètres carrés à tout casser est déjà une aventure en soi.
Et cela vaut aussi pour les pros de la voile océanique que sont Armel Le Cléac’h, Sébastien Josse, Jérémie Beyou, Jean Le Cam, Vincent Riou, Bertrand de Broc, Jean-Pierre Dick ou Alex Thomson, tous rompus à l’exercice et qui, pour la plupart, ont pris le départ de leur quatrième Vendée Globe de rang.
Stratifieur
Durant près de quatre-vingt jours, ces marins multitâches alternent aussi une foule de métiers : météorologue, déménageur, plombier, stratifieur, électronicien, journaliste reporter d’images, alpiniste, infirmier, veilleur de nuit… Il suffit d’avoir passé quelques heures à bord de ces bateaux de mutants pour être définitivement convaincu que le Vendée Globe reste une aventure humaine, un défi physique extrême, une introspection… même pour ceux qui sont déjà allés vérifier que la Terre est ronde.
On voudrait nous faire croire que les pionniers, de Joshua Slocum en 1895 à Vito Dumas en 1942 ou Robin Knox Johnston et Bernard Moitessier en 1968, ayant ouvert ces routes en solitaire autour du monde, n'ont aujourd'hui plus d'héritiers aventuriers, mais seulement des régatiers robotisés, programmés pour dévaler les flots et aligner plusieurs centaines de milles par jour sans stress ni vague à l'âme ! Pour Alain Gautier, vainqueur du deuxième Vendée Globe à 30 ans, aujourd'hui conseiller sécurité de la course, «quelqu'un qui prend le départ est forcément un aventurier» : «Les skippeurs n'ont pas tous le même profil ni les mêmes ambitions. Le Vendée Globe comme le Dakar est ouvert aux amateurs, et je trouve ça génial. Je me suis battu pour que la course ne se dispute pas sur des bateaux monotypes, car elle n'aurait été réservée qu'aux seuls professionnels. On a besoin de ces purs amateurs, personnalités éclectiques et un peu "barrées" comme le Néerlandais Pieter Heerema, l'Américain Rich Wilson ou l'Irlandais Enda O'Coineen, venant vivre leur rêve sans compter, et des marins libres et heureux comme Romain Attanasio, Sébastien Destremau ou Alan Roura, tirant le diable par la queue certes et naviguant sur des bateaux fatigués et dépassés, qui à eux trois ont déjà dix tours du monde sous la quille.»
Régate planétaire
L'évolution de la course à la voile désormais la plus populaire de France laisse certains navigateurs plus dubitatifs. «Avant, au Vendée Globe, il y avait environ 50% de projets compétitifs et 50% de marins venant d'abord pour terminer. Cette fois, le ratio penche vers la deuxième catégorie. Je ne sais si c'est une bonne chose ou pas, mais en tout cas c'est une différence par rapport aux éditions précédentes», indique Vincent Riou, seul ancien vainqueur (en 2004-2005) au départ cette année, avant de préciser : «N'empêche que l'on court pour gagner ou pour boucler le tour du monde, on cherche aussi la pure aventure, et c'est ce qui fait la magie de cette course.»
En 2013, l’extraordinaire mano a mano entre François Gabart et Armel Le Cléac’h, séparés à l’arrivée de seulement trois heures dix-sept minutes après mille huit cent soixante-douze heures de duel, a un peu brouillé les cartes, banalisé l’extrême difficulté du Vendée Globe et fait basculer ce tour du monde vers une régate planétaire. Les deux champions frais et dispos, et rasés de près, ont donc bousculé l’image d’Epinal de robinsons hirsutes et barbus débarquant, hagards, de nulle part.
«Le Vendée Globe est devenu une régate très technique, et il y a une part d'aventure qui a été un peu mise de côté», reconnaît de son côté le marin-écrivain Gérard Janichon, dont l'influence reste incontestable plus de quarante ans après son épopée. De 1969 à 1973, avec Jérôme Poncet, à bord de Damien, un bateau en bois de dix mètres aussi sommaire que robuste, les deux compères ont erré durant 50 000 milles, empruntant des voies non encore explorées de l'Arctique à l'Antarctique. «Ce que font les coureurs aujourd'hui est extraordinaire, et cela reste obligatoirement une aventure humaine. Quand tu es tout seul sur ton bateau autour du monde, quand tu franchis les trois grands caps (Bonne-Espérance, Leeuwin, Horn), de toute façon ce n'est jamais anodin», insiste Janichon, mentor et père spirituel ayant participé à la pose de la première pierre dans la démarche originale du bateau Commeunseulhomme d'Eric Bellion il y a deux ans.
Pourvoyeurs de rêve
Du Spitzberg au Cap Horn (Janichon) et la Longue Route (Moitessier), publiés chez Arthaud, restent des ouvrages fondateurs, des bibles, des pourvoyeurs de rêves participant à la naissance de vocations. Et il n'est donc pas surprenant que tous les concurrents sans exception depuis la création du Vendée Globe, il y a plus de vingt-cinq ans, se soient identifiés adolescents à ces aventuriers.
Alors régate ou aventure ? «Les deux, répond Loïck Peyron, deuxième de la première édition, et qui a abandonné sur casse lors de ses deux autres participations. Il y en a qui ont envie de finir, d'autres de gagner. Etre au départ d'un Vendée Globe, c'est déjà une sacrée aventure. Le terminer, c'en est une autre ! C'est la clé de l'intérêt de cette épreuve. C'est une des rares compétitions, tous sports confondus, où l'aventure a toute sa part quel que soit le bateau. Dès que c'est aléatoire, dès qu'il y a de l'incertitude, c'est l'aventure.» Et c'est un connaisseur qui le dit !
Une semaine tambour battant
Le huitième Vendée Globe est parti sur les chapeaux de roue. Même si personne ne veut l’avouer, la première semaine de course a été particulièrement éprouvante. Mais quand les langues se délient, on comprend que la vie à bord semble déjà proche de la punition. Après une semaine de course, l’écart entre le leader et le dernier dépassait déjà les 1 500 milles et il reste 22 500 milles, soit 41 670 kilomètres, à courir. L’imprévisible Gallois Alex Thomson imprime un rythme délirant. Il a pris les commandes durant le week-end et file au sud tel un avion. A ses trousses, Sébastien Josse, Vincent Riou et Armel Le Cléac’h ou encore Jérémie Beyou ont le nez dans les cartes météo, le prochain juge de paix étant le fameux pot au noir (qui marque le changement d’hémisphère), avec ses vents erratiques, ses grains violents et sa chaleur suffocante.
Les deux novices Paul Meilhat et Morgan Lagravière, impeccables depuis le départ, s’invitent à la fête. Afin de trouver le passage à travers les nuages, tous ont étudié la trace lumineuse de Thomas Coville, parti le même jour à la conquête du record du tour du monde sur son multicoque géant, et qui a pulvérisé le chrono entre Ouessant et l’équateur (cinq jours dix-sept heures).