Samedi soir, la France s’est inclinée face à la Nouvelle-Zélande, 19 à 24. Pile poil dans le synopsis d’avant-match : les Bleus vont perdre face à la meilleure équipe du monde, la question est de savoir comment et de combien. Ça s’est terminé sur un score étriqué qui soulage ceux qui pensaient très fort à l’humiliation du quart de finale de Coupe du monde 2015 (13-62). Et sur une petite chaise en zone mixte (l’espace dédié aux échanges entre les acteurs et la presse après les matchs) pour le troisième-ligne Charles Ollivon, qui ne pouvait plus rester debout, complètement éclaté sous son costume classe, comme s’il revenait d’un rencard avec des tigres.
Les statistiques rendent moins abstraits les progrès des hommes du sélectionneur Guy Novès depuis quelques mois : plus de mètres parcourus avec le ballon (529) que les All Blacks, plus de passes (190), plus de défenseurs adverses battus (20). Après coup, les joueurs français n'ont cependant pas cherché à en faire des tartines - «Malheureusement, on n'y arrive pas» (le deuxième-ligne Julien Le Devedec), «on les a bien contrôlés, mais pas assez» (l'arrière Brice Dulin) -, une défaite reste une défaite, point barre.
A la recherche du «French flair»
Pourtant, le rugby reste aussi une affaire de marketing et de récits. On s’est posé au Stade de France avec, dans un coin de la tête, toute la littérature dévolue à un France - Nouvelle-Zélande, genre péplum. D’un côté, les Blacks super-héros qui apprennent le rugby de manière presque ésotérique, très loin, dans leur île isolée, et qui jouent comme on chérirait son gosse unique, avec amour et pureté. De l’autre, les Bleus en rééducation, à la recherche du «French flair», cette inspiration dans le jeu qui, selon la légende, leur a permis, jadis, de faire miauler les plus costauds. Au milieu, le terrain, l’espace neutre qui dissipe le fantasme.
Les Néo-Zélandais, gentlemen du rugby ? Ils collent des taquets vicieux dès les premières secondes (Louis Picamoles étendu d'entrée), profitent à fond de la clémence des arbitres (qui récompensent les meilleurs) et chambrent comme des garnements, «à la limite du non-respect», dira Guilhem Guirado, le capitaine des Bleus. Le 13-62, énorme tâche dans l'histoire du XV de France ? Les Bleus ont une nouvelle histoire, un nouveau coach depuis un an et des joueurs tout neufs. La sainte crainte de la branlée comme facteur de sublimation, que les anciens évoquent souvent pour expliquer leurs exploits ? Deux joueurs nous expliquaient en filigrane samedi que c'est plus compliqué, chaque collectif ayant sa façon d'appréhender le danger.
Comme des chirurgiens
L'écart entre les deux sélections sur le match ? Le très haut niveau n'a rien de surnaturel, c'est une histoire de détails, de secondes et de «centimètres» (dixit Yannick Bru, l'entraîneur des avants tricolores). Alors que l'équipe de France pousse très fort juste après la mi-temps et qu'elle se retrouve à cinq mètres de l'essai, les doigts de Beauden Barrett interceptent le ballon sur une passe mal assurée de Camille Lopez. Le Black traverse le terrain en solo et aplatit de l'autre côté, avec le grand écran en face de lui en guise de rétroviseur. Derrière lui, personne. Raconté autrement, ça se joue à rien. Trois essais au total pour la Nouvelle-Zélande, contre un pour les Bleus. Pour inscrire les deux premiers, les Blacks n'ont eu besoin que de trois passes, parce qu'ils jouent comme des chirurgiens. Croisé en zone mixte, Uini Atonio, pilier de l'équipe de France, nous fera un résumé avec les couleurs : les 30 joueurs sur le terrain se sont tous mis dans le rouge vif pendant «des séquences de cinq, six minutes très dures» et le vainqueur est tout simplement celui qui les a le mieux gérées. A l'inverse, le perdant a été le plus maladroit, notamment sur les pertes de balles (19).
Hiérarchie des commandements
C'est compliqué de théoriser sur la défaite, même après avoir montré de l'ambition contre la meilleure équipe du monde et en procurant du kif aux spectateurs. Charles Ollivon : «On ne peut ni sourire ni faire la gueule.» En fait, on ne sait pas trop quoi faire, à part poser des questions et supposer que, anticiper et espérer que. La morale de Rabah Slimani, entré en cours de jeu : «On apprend de la défaite, mais on préfère quand même apprendre des victoires.»
Parmi les Français, personne ne parle des Néo-Zélandais comme des êtres supérieurs qui viendraient d’une planète inconnue. Plutôt comme des rugbymen qui bossent pour rester les plus forts et qui jouent à merveille de leur statut d’invincibles. Tout comme aucun d’eux ne s’est risqué à remettre en cause la hiérarchie des commandements du sport de haut niveau. Les bonnes intentions, la philosophie de jeu, les jolis gestes, comme l’excellente passe de Baptiste Serin sur l’essai de Louis Picamoles. C’est du sport : les discours et l’envie affichés ne deviennent concrets que lorsqu’il y a la victoire au bout du compte.