Les sportifs de très haut niveau expliquent parfois qu’atteindre un objectif après lequel on a couru une carrière durant fait courir un grand risque de déstabilisation, comme si la conquête d’un Graal rendait inutile toute la vie sportive à venir. Sacré dimanche champion du monde de Formule 1 pour la première fois, l’Allemand Nico Rosberg (Mercedes), 31 ans, a coupé court à d’éventuels atermoiements : il a pris sa retraite vendredi.
Et l'a annoncé sur les réseaux sociaux. «Je suis au sommet de la montagne, l'ascension a été très dure, donc je sens que c'est le bon moment.» Rosberg explique que cette idée a germé le 9 octobre à Suzuka, lors du GP du Japon: «J'ai commencé à penser à abandonner la course automobile si je devenais champion du monde […] Pendant 25 ans, c'était mon seul et unique rêve, devenir champion du monde. Je l'ai fait […] Les déceptions des deux dernières saisons m'ont donné des niveaux de motivation que je n'avais jamais ressentis auparavant. Et cela a eu un impact sur tous ceux que j'aime, bien sûr. Je n'aurai jamais assez de mots pour remercier Vivian [son épouse, mère de son enfant].»
Pression maximale
L’épisode de Suzuka est particulièrement révélateur de sa personnalité et, au-delà, des raisons qui l’ont poussé à lâcher le volant en compétition : ayant pris conscience à la suite de sa victoire que le titre ne dépendait plus que de lui, puisque quatre succès de son plus proche adversaire et coéquipier chez Mercedes Lewis Hamilton pouvaient ne pas suffire à faire basculer le titre dans le camp de l’Anglais, Rosberg explique avoir dès lors ressenti «the big pressure», la pression maximale, mal vécue donc par l’intéressé puisque ses idées de retraite – c’est-à-dire d’échappatoire – sont survenues à ce moment précis.
Les chiffres : 206 Grands Prix de F1 depuis ses débuts à Bahreïn en 2006, dans une Williams, 23 victoires (9 cette saison), 30 pole positions (dont 8 en 2016) et 20 meilleurs tours en course. Le style : aussi coulé et mesuré que le personnage hors des pistes, Rosberg n’étant pas du genre à manipuler la presse en utilisant ses prises de parole publiques pour déstabiliser la concurrence sur la piste.
Filière Mercedes
Sa personnalité moins flamboyante que celle d’Hamilton, avec lequel il est en concurrence depuis l’enfance et les catégories de jeunes, ne l’a pas pour autant exonéré de responsabilité concernant les accidents qui l’ont impliqué en course : peu sûr de lui, il a par exemple été ouvertement reconnu responsable par la direction de Mercedes dans les sorties de piste de Barcelone cette saison ou de Spa-Francorchamps en 2014, Rosberg reconnaissant du reste ses fautes.
Salué par le patron de l'écurie Mercedes, Toto Wolff, qui loue «la force de caractère» d'un Rosberg capable de partir au sommet, cette retraite soulage forcément une équipe qui avait des difficultés à faire cohabiter deux pilotes d'une telle valeur, Hamilton comptant de son côté quatre titres mondiaux : devant les manœuvres de plus en plus risquées de ses deux pilotes l'un envers l'autre en course, Wolff avait dû rappeler dimanche que «l'anarchie n'a sa place dans aucune écurie, ni aucune société».
Quant au remplacement de Rosberg, les cadors étant sous contrat dans les écuries concurrentes, Wolff pourrait faire appel à la filière Mercedes en rapatriant le Français Esteban Ocon (20 ans) depuis Force India ou en installant l’Allemand Pascal Wehrlein (22 ans), qui vient de boucler sa toute première saison chez Manor. A moins que, ces deux-là jugés encore un peu tendres, le solide Mexicain Sergio Pérez, brillant chez Force India (équipe motorisée par Mercedes) cette saison, soit exfiltré vers l’équipe championne du monde. Ou encore, pourquoi pas, une reconstitution du binôme d’antant de McLaren, Lewis Hamilton-Jenson Button, ce dernier étant tout juste retraité. On peut toujours rêver…