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portrait

Luka Karabatic : Pare-balles

Le pivot de l’équipe de France de hand, grandi dans l’ombre de Nikola, son frère star, se révèle après l’affaire des paris en géant doux et solide.
(Photo Yann Rabanier)
publié le 6 janvier 2017 à 17h37

C’est l’histoire d’un ancien espoir du tennis français, option service d’enclume et bris de raquette quand ça tourne mal. Un gaillard affichant 2,02 mètres sous la toise et un quintal sur la balance, reconverti aux tâches obscures du handball. Luka Karabatic est un des pivots de l’équipe de France, qui s’apprête à disputer en ce mois de janvier des championnats du monde à domicile. Luka, 28 ans, est le garde-chiourme de la défense tricolore, du genre à déplacer des kilos de viande adverse dans un espace de quelques mètres carrés.

Il fait la paire avec son frère aîné, Nikola, élu à deux reprises meilleur joueur du monde. Du duo, c'est bien évidemment «Niko» le plus connu. La star du hand français est abonnée aux titres. Il a aussifait les gros titres des médias lorsqu'a éclaté, en 2012, l'affaire des «paris suspects» sur match de championnat, alors que son frère et une quinzaine d'autres personnes étaient mouillés. L'image publique de Luka en a longtemps pâti. A ses débuts, sous le maillot bleu, il est présenté au mieux comme le «frère de», au pire comme un «pistonné». Le colosse a fait taire les sceptiques en 2014, quand il a contribué grandement au gain de l'Euro. A la barre du tribunal correctionnel de Montpellier qui le jugeait pour escroquerie en juin 2015, il absout son aîné et se flagelle : «Nikola a eu la réaction d'un grand frère envers son cadet qui a fait une connerie. Il m'a dit que j'étais idiot, que je pouvais être licencié pour ça.» Avant de se faire tout à la fois chambreur et insolent lorsqu'il raconte ce qui l'a amené à miser une cagnotte de 8 400 euros sur la défaite de son équipe de Montpellier : «J'ai parié dans le bar-tabac en bas de chez moi, tenu par des Asiatiques. Je me suis dit qu'ils ne savaient pas trop ce qu'était le handball. Sans faire offense à ma défense.» Ses avocats, les frères Phung, rient de bon cœur. Evoquant sa compagne et coaccusée Jeny Priez, alors animatrice sur la chaîne NRJ 12, il dit : «Une grande carrière à la télé l'attendait… mais ce n'était pas Claire Chazal non plus !»

C’est un jeune homme bien plus posé que ces quelques impressions d’audience que l’on a rencontré. Presque timide, en tout cas humble et sensible. Un Karabatic dont l’histoire ne peut se comprendre sans raconter celle de la famille. D’origine croate par son père, Branko, ex-gardien de l’équipe de handball de Yougoslavie ; d’origine serbe par sa mère, Radmila, dite «Lala», médecin de formation. Le premier enfant du couple, Nikola, naît en 1984 à Nis, en Serbie. Le père s’exile seul à Strasbourg pour gagner quelques sous, avant d’être rejoint par sa famille.

Luka voit le jour dans l'est de la France, mais c'est à Frontignan, dans l'Hérault, qu'il passe son enfance et cultive son petit accent pointu. Branko est entraîneur au club de hand local et donne des cours de sport à l'école du coin. «Il gagnait correctement sa vie, mais ça ne suffisait pas, se souvient Luka. Ma mère a dû travailler comme aide-soignante dans une maison de retraite.» L'intégration se déroule sans accroc. «Mon père était une figure dans la ville : il était grand, venait des Balkans, portait une moustache, parlait avec un accent», dit-il en souriant.

A la maison, les parents manient surtout le serbo-croate, et les gamins doivent se débrouiller, seuls, pour faire leurs devoirs. Ils sont excellents élèves. Tous deux décrocheront leur bac avec mention très bien. L'été, les vacances les mènent vers la maison familiale, sur la côte dalmate. «On partait en voiture, c'était l'aventure. Je me souviens d'une fois où on avait fait le voyage à quatre sur la banquette arrière avec mes deux cousines croates», dit Luka. Qui se remémore aussi les périodes d'angoisse lorsque l'Otan, en 1999, frappe la Serbie de Milosevic. «Nis a été bombardé. Mon oncle s'est retrouvé deux fois à proximité d'une explosion. Mes cousines racontaient les soirées passées au sous-sol pendant les alertes.»

Enfant, Luka fréquente les parquets de handball. Mais il décide, à l'âge de 6 ans, de s'essayer au tennis. Il accroche vite à la balle jaune. A 13 ans, il intègre le pôle France de Saint-Raphaël, qui regroupe les meilleurs espoirs du Grand Sud. Quelques pépins physiques freinent sa progression, et il revient dans le cocon familial. «La passion m'a quitté à ma majorité», glisse-t-il.

C'est à Lala, un peu maman poule, qu'il annonce d'abord sa décision de se remettre au hand. «Branko lui a demandé pourquoi il laissait tomber le tennis, il ne voulait pas que Luka papillonne à la moindre difficulté», rembobine Bhakti Ong, l'agent des frères Karabatic, un intime de la famille. Le père, sévère mais pédagogue, exige de ses enfants qu'ils aillent au bout de leurs possibilités. Ça tombe bien, Nikola comme Luka sont du genre méticuleux et acharné. En quelques mois, le cadet intègre le centre de formation du club de Montpellier. Nikola, un temps parti exercer ses talents en Allemagne, rentre au bercail, notamment pour se rapprocher de son père malade et de son frère devenu collègue de travail. Luka progresse si vite qu'il connaît en 2011 sa première sélection avec l'équipe de France. C'est son frère qui lui annonce la nouvelle. Le sélectionneur des Bleus, Claude Onesta, aurait aimé que Branko, le père, puisse le faire, mais il décède en mai 2011 des suites d'un cancer. Un choc pour la famille, qui se resserre, jusqu'à vivre réunie dans une maison des environs de Montpellier. Survient l'affaire des paris. L'interpellation à la porte des vestiaires, la garde à vue, la mise en examen… «J'ai eu conscience très tôt que j'avais fait une connerie, admet Luka, condamné en première instance à 15 000 euros d'amende (la décision de l'appel pourrait tomber fin janvier). Toutes mes actions ont été de me reconstruire et de repartir du bon pied.»

C'est au club d'Aix-en-Provence qu'il s'émancipe, avant de rejoindre, en 2015, le Paris-Saint-Germain, où a aussi signé Nikola. Le cadet réside aujourd'hui non loin des Champs-Elysées. Il va à l'entraînement en métro, flâne à l'occasion dans le Marais. Il partage toujours la vie deJeny, avec laquelle il dit avoir une «relation de couple vraiment saine, plus forte après les galères». L'année 2017 sera celle de l'émancipation définitive. «C'est la première fois que j'irai voter en ayant vraiment conscience de ce qui se passe en France», affirme-t-il, même s'il «a un peu de mal à y voir clair parmi les candidats». Le grand barbu a au moins une certitude : il a la chance de vivre, «très bien et amplement», de sa passion. «C'est beaucoup plus que la majorité des Français, et ça permet de garder les pieds sur terre.»

19 avril 1988 Naissance à Strasbourg.

Juin 2011 Première sélection en équipe de France.

2014 Première médaille d'or en Bleu, à l'Euro.

Juillet 2015 Reconnu coupable d'escroquerie.

Janvier 2017 Mondial de handball en France.