C’est fou comme les coups d’un «vieux» peuvent filer un coup de jeune. C’est ce qui est en train de se vérifier à Melbourne, où, à 35 ans et très précisément 176 jours ce mercredi, Roger Federer est en train de réussir le come-back de ce début de saison, voire de la décennie. Et de redonner, dès les premières semaines de l’année tennistique, de l’attrait à un circuit qui avait fini par ronronner au rythme de duels Murray-Djokovic certes admirables, mais il faut bien le reconnaître, parfois (très) soporifiques.
Après six mois d'arrêt en raison d'une grave blessure au genou, «Rodger» est de retour à la compétition officielle à l'Open d'Australie. Un tournoi du Grand Chelem pour commencer, n'est-ce pas un pari risqué ? Qui plus est à un âge aussi canonique que celui du Bâlois ? Peut-être. Mais aujourd'hui la question n'a plus aucun lieu d'être : jeudi à Melbourne, Roger Federer, visiblement en pleine forme, dispute une demi-finale (face à son compatriote Stan Wawrinka). Sa 41e en Grand Chelem. Et il faut le croire lorsque l'homme aux 17 titres majeurs affirme qu'en soi, un tel résultat constitue déjà une victoire. «Je dis ça depuis pas mal de temps, je l'avais déjà dit après ma victoire au premier tour, explique l'ancien numéro un mondial. Mais pour moi, le retour était déjà réussi en arrivant ici. Même si j'avais perdu d'entrée, ça aurait été un succès.»
Cette fois, il ne s'agit pas de la posture de cador qui voudrait la jouer modeste. Il précise : «Pourquoi ? Mais parce que je suis de nouveau sur le circuit et qu'il y a quelques mois en arrière, avec mon équipe, on n'en était pas sûr du tout. On ne l'a jamais été jusqu'en décembre, à un mois du tournoi. Et même là, il ne fallait pas qu'il y ait de rechute. Alors, je suis vraiment très content.»
«Bluffant»
Dans les jours précédant son match de reprise, les joueurs, entraîneurs, préparateurs physiques, commentateurs (dans l'ordre que vous préférez) croisés dans les couloirs de la Rod Laver Arena répétaient tous à l'envi : «Si Roger dit qu'il est prêt, c'est qu'il l'est, croyez-moi.» Cela s'est vérifié. Tour après tour : d'abord avec le frein à main enclenché contre deux qualifiés (Jürgen Melzer et Noah Rubin), puis en passant une vitesse pour éteindre ce pauvre Tomas Berdych (pourtant 10e mondial), avant d'appuyer très franchement sur l'accélérateur face à Kei Nishikori (5e mondial) puis au tombeur du numéro 1 mondial, Andy Murray, l'Allemand Mischa Zverev, relégué au rôle d'essuie-glace sur le terrain.
«Il me bluffe», résume Fabrice Santoro. «Aujourd'hui, on est tous sous le charme de Roger», surenchérit Henri Leconte. A entendre ces anciens joueurs devenus commentateurs, à 35 ans, Roger est redevenu Roger. Mais en mieux. «Je crois que ça lui a fait du bien de prendre un peu de recul, poursuit Leconte. Il a eu très peur avec son opération du genou et le fait d'avoir passé un peu de temps avec sa famille lui a permis de voir un petit peu ce qui se passait à l'extérieur et de revenir frais. Aujourd'hui, c'est un nouveau Federer qui fait service-volée, qui attaque, qui tente des coups. Même si parfois il fait des grosses fautes, ce n'est pas grave. Avant, on aurait pu commencer à se dire : "Ouh là là il va se dérégler, commencer à moins bien jouer…" Maintenant, non, ce n'est pas grave, il continue. C'est la grosse différence avec le Roger Federer d'avant. Il prend beaucoup, beaucoup de plaisir.» «A chaque fois que je le vois sur un terrain, ici, dans les vestiaires ou au restaurant, j'ai l'impression qu'il a 18 ans, acquiesce Fabrice Santoro. Il est plus frais que certains juniors.»
«Différent»
La fraîcheur. Effectivement une des clés de l'extraordinaire campagne australienne du «Master». Mentale donc, mais aussi physique. Car l'un ne va bien évidemment pas sans l'autre. Surtout à plus de 30 ans. Six mois loin de la compétition n'ont pour autant pas signifié une désertion totale des courts ou de la salle de gym. La facilité apparente du tennis de «Rodger» a toujours puisé sa source dans le talent naturel, bien sûr, mais aussi dans une assiduité au travail. Et cela, le Federer vieillissant et blessé ne l'a jamais perdu. Au contraire. «Il y a deux choses à prendre en compte, résume Thierry Ascione, l'entraîneur de Jo-Wilfried Tsonga. La première, c'est que la blessure de Roger, ça n'a pas été : six mois de blessure, trois semaines de tennis. Contrairement à pratiquement tous les mecs quand ils se blessent. Lui, ça a été : un mois et demi de blessure, quatre mois et demi de travail. Ce n'est pas la même chose.» Et la deuxième ? «Eh bien, c'est que le mec est différent, quoi ! Il est prêt ET il est différent, donc il va plus vite que tout le monde !»
Ou presque tout le monde. Car une autre icône trentenaire connaît une trajectoire similaire à Melbourne Park. Rafael Nadal, éloigné trois mois des courts pour une blessure au poignet, s’est lui aussi qualifié pour les demi-finales, à la faveur d’une victoire maîtrisée sur le numéro 3 mondial Milos Raonic (6-4, 7-6, 6-4), ce mercredi. «Rafa» : le meilleur ennemi du roi Roger, l’adversaire qui lui a posé le plus de problèmes sur le court et celui dont il s’est toujours senti le plus proche. A Melbourne en ce mois de janvier, la nostalgie est bien ce qu’elle était. Et qu’est-ce que c’est bon.