Dans les cours de récré, c'est un «péno». Dans le langage officiel du handball, c'est un jet de sept mètres que, selon la règle 14, les arbitres se doivent de siffler quand une équipe est manifestement spoliée d'une occasion de but par la manœuvre dilatoire d'un adversaire. Ce face-à-face entre le gardien et le tireur fait le sel des matchs de handball, particulièrement quand le suspens y rend l'atmosphère irrespirable. Pourtant, «c'est plutôt plaisant pour un gardien un jet de sept mètres», assure Bruno Martini, ancien gardien de l'équipe de France joint par Libération. Mais allez donc dire ça au portier suédois Mikael Appelgren, incapable d'enrayer le rythme infernal du jeune Kentin Mahé à cet exercice mardi soir en quart de finale du championnat du monde, à Lille. Grâce à son taux de réussite de 100% à 7 mètres, celui qui évolue à l'année au SC Flensburg-Hendewitt en Allemagne a permis aux Bleus de résister à la jeunesse suédoise, recollant même au score à trois reprises (à 16-17 pour la Suède, 17-18 et 25-26). Nul doute que Lesjak, le gardien de la Slovénie, que la France rencontre ce jeudi soir en demi-finale, s'est infusé en vidéo le festival Mahé.
Après le match contre la Suède, Daniel Narcisse, un taulier des Bleus, saluait le travail de Mahé à sa juste valeur : «On est tombés sur une équipe suédoise qui nous a posé des problèmes dans tous les secteurs de jeu, avec un gardien qui termine meilleur joueur du match. On peut féliciter le petit jeune (Kentin Mahé) d'avoir mis tous ses pénos.» Or cet exercice est loin d'être aisé. Devant France-Suède, Bruno Martini se posait d'ailleurs cette question : «Je me demandais s'il (Kentin Mahé) devait continuer à tirer des jets de 7 mètres en fin de match et comment il allait faire une fois toute sa gamme de tir épuisée.»
Une histoire de chiffres
Plantons d’abord le décor. L’objectif ? Une cage de 3 mètres de long pour 2 de hauteur avec, pour la garder, un portier dont la taille avoisine le 1,92 m (moyenne de taille des gardiens du championnat de France de handball). On se rend vite compte que la place est comptée pour envoyer cette balle de 58 à 60 cm de circonférence au fond des filets. Surtout que le tireur n’a pas le temps de réfléchir longtemps à ce qu’il va faire. Le tir doit en effet être effectué trois secondes max après le coup de sifflet de l’arbitre avec en face de soi un gardien qui peut avancer jusqu’à la ligne des quatre mètres. On vous laisse faire le calcul. Le tireur et le gardien peuvent n’être séparés que de trois mètres -ce qui réduit les angles de tir- au moment de ce «one-to-one» (en comparaison, cette distance est de 9,15m au football pour le pénalty). Commence alors un défi psychologique entre les deux joueurs.
«C'est un duel»
Pour le gardien, «il n'y a pas qu'une seul clé pour arrêter un jet de sept mètres» selon Bruno Martini. L'une d'entre elles est d'amener le joueur adverser à tirer là où on aimerait qu'il tire : «Il y a deux solutions. Soit on peut tenter de faire croire au joueur qu'on lui offre la solution. Si on sait qu'un joueur aime bien tirer à droite par exemple, on va essayer de lui faire penser que l'on va partir de l'autre côté pour mieux le contrer. Soit on peut au contraire lui faire comprendre que son côté privilégié est bloqué et le forcer à changer ses plans.» Dans tous les cas, Bruno Martini pointe l'importance du côté mental lors d'un jet de sept mètres : «C'est un jeu. Il faut considérer ça comme un jeu, il ne faut pas subir.» Pour le tireur, la qualité d'un jet de sept mètres réussi est la concentration, disait Guillaume Joli, ancien «monsieur penalty» de l'équipe de France : «Je recule. Je vais en direction du centre, je prends mon temps. Je souffle un bon coup pour essayer de faire baisser le rythme cardiaque afin d'être le plus lucide possible avant d'arriver devant le gardien.» La pression est en effet sur le tireur, pour Bruno Martini, selon qui le gardien n'a rien à perdre. Il avoue cependant qu'en cas d'échec, ce dernier éprouve un «regret» : «Parce qu'on a envie d'être décisif, de gagner le duel. Il y a aussi cette notion à prendre. C'est un duel.»
Un duel dans lequel les Français ont connu des difficultés au premier tour (8 échecs sur 17 tentatives). Des chiffres à relativiser pour Guillaume Joli, dans l'Equipe, lorsque l'on comparait cette faible réussite à la sienne en équipe de France. Le Dunkerquois avait notamment réalisé un 9/9 à sept mètres face à la Suède (décidément) lors du dernier Championnat du monde au Qatar en 2015. «Mais, au Qatar, j'avais d'abord connu des ratés contre l'Algérie et l'Egypte. Dans cet exercice, chaque jour a son histoire. Pour Micha (Guigou) et Kentin (Mahé), je pense que ce sera aussi plus facile lors des matches couperets, car ils connaîtront les gardiens adverses et pourront plus facilement les travailler.» Force est de constaster qu'à l'aube des demis-finales, les prévisions de Guillaume Joli restent vérifiées. Les Français restent sur 9 jets de sept mètres réussis sur 9 lors des matchs à élimination directe (avant le 7/7 de Kentin Mahé face à la Suède hier, Michaël Guigou avait réalisé un 2/2 dans cet exercice contre l'Islande en huitième de finale).