Les larmes ont coulé sur ses joues. Une première fois après avoir levé les bras au ciel dans un geste de victoire. La deuxième lorsqu’il a compris, sur le podium, que le dieu vivant du tennis, Rod Laver, se tenait debout à côté de lui et s’apprêtait à lui remettre son dix-huitième trophée du Grand Chelem. Oui, dix-huit. Roger Federer n’avait pas besoin de cette nouvelle victoire en finale de l’Open d’Australie (6-4, 3-6, 6-1, 3-6, 6-3 en 3 h 38 contre Rafael Nadal) pour écrire sa propre légende. Il y a belle lurette que l’on n’utilise plus que des superlatifs pour le décrire, lui et son tennis. Le «Goat» (Greatest of All Time), le «Master», ou simplement «Roger» : pas besoin de davantage de mots pour que tout soit dit.
Mais si sa légende n'en avait plus besoin, l'homme si. Plus que tout. «C'est quelque chose qu'il a en lui, confirmait après la finale l'ancien joueur Arnaud Boetsch, qui compte aujourd'hui parmi les proches du Suisse. Gagner tout de suite en Australie, je ne pensais pas qu'il y croyait, mais oui… les victoires en Chelem, il a vraiment ça en lui.» Ce «dix-huit», le Bâlois lui courait après depuis Wimbledon 2012, date de son dernier triomphe dans un tournoi majeur. Si les autres doutaient qu'il puisse un jour de nouveau tutoyer les sommets - trop vieux, trop lent, plus assez puissant -, lui était persuadé que son tennis était toujours là et, qu'à force de travail, il y aurait, un jour prochain, où cela passerait de nouveau.
Depuis plus de quatre ans, Grand Chelem après Grand Chelem, il n'avait cessé de le répéter. Vu la qualité du spectacle produit au dernier jour de l'Open d'Australie, il avait raison. «Je crois vraiment que cela a été un grand match, a indiqué, sourire un peu triste quand même, Rafael Nadal, beau perdant. Je suis heureux d'y avoir pris part, je me suis battu pour essayer de gagner ce trophée. La seule chose que je puisse faire, c'est le féliciter et repartir de mon côté à la maison avec beaucoup de sentiments positifs.»
Poker
Que ce sacre - Roger Federer l’appelait de tous ses vœux depuis (trop) longtemps - se soit précisément dessiné face à son meilleur ennemi, «Rafa», dimanche sur la Rod Laver Arena de Melbourne, le Suisse peut le voir comme un signe de plus : la légende est toujours en marche et elle ne peut s’écrire qu’au terme de combats d’anthologie. Cela faisait en effet dix ans qu’il n’avait plus battu Nadal en finale de Grand Chelem. Qu’il y soit parvenu en venant chasser sur les terres de résistance physique du Majorquin - de retour après trois mois loin du circuit en raison d’une opération du poignet - et sur son coup droit «lasso» rend le triomphe encore plus admirable.
Surtout à 35 ans, surtout pour son tournoi de reprise après six mois d'arrêt en raison d'une grave blessure au genou. «Je ne trouve pas les mots, a glissé au micro lors de la remise des prix un Roger Federer toujours submergé par l'émotion. Je voudrais féliciter Rafa pour son incroyable come-back. Je ne pense pas que l'un d'entre nous aurait pu penser que nous nous retrouverions en finale de l'Open d'Australie quand nous discutions ensemble de nos blessures il y a cinq mois de cela à Majorque [en octobre, pour l'inauguration de l'académie Rafael Nadal, ndlr]. Et pourtant, nous sommes là ! Le tennis est un sport difficile. Il ne peut pas y avoir de match nul, mais si c'était possible, j'aurais accepté avec joie le match nul avec Rafa ce soir. Vraiment.»
Compliqué en effet à la sortie de cette finale d'identifier clairement le dominant et le dominé, tant l'avantage a changé de camp plusieurs fois au cours de la rencontre. Ainsi, lorsque Rafael Nadal a réussi le break et s'est détaché 3-1 dans le cinquième set, parier sur les cinq jeux alors alignés à la suite par le Bâlois aurait été l'équivalent de tenter un tapis au poker. Et pourtant, Roger Federer a bel et bien réussi à renverser le match et à s'imposer sur une ultime attaque de coup droit flirtant avec la ligne. «On le savait capable de pouvoir réaliser ce genre de performance, analysait dans les travées du stade l'ancien joueur Nicolas Escudé, qui a commenté la finale pour la télévision. Mais on avait forcément un doute quant à sa capacité à le faire après une pause aussi longue, après une quinzaine au cours de laquelle il avait déjà sorti trois top ten, et face à Rafa revenu aussi à son meilleur niveau. D'autant plus au vu de leur passif en finale de Grand Chelem… Franchement, c'est énorme ce qu'il a fait !» «A 35 ans, c'est phénoménal, surenchérissait Boetsch. Je vous rappelle qu'à mon époque, on nous disait : "A 35 ans, vous êtes fini !" On nous répétait ça depuis nos 20 ans. Et là, quand on voit le niveau de jeu… Et puis, courir aussi bien et être aussi fit tout au long d'une quinzaine comme ça… bravo.»
Triomphe
Et maintenant ? Après avoir assisté à un nouveau Roger-Rafa d'une qualité aussi exceptionnelle et à l'émotion suscitée par le triomphe d'un «maître» apparu tout au long de sa campagne australienne plus frais et motivé qu'un jeune homme, on se prend, forcément, à en vouloir d'autres du même moule. Et plein. «C'est une belle histoire qui continue, confirme Arnaud Boetsch. Roger est revenu comme un gamin qui a envie de jouer, qui prend du plaisir sur le court et qui, quasiment, n'a rien à prouver.»
Et de conclure, avant de retourner partager la victoire avec le clan Federer : «Il continue de faire du bien au sport. Et à nous tous, d'une certaine manière.»