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Libération
Décryptage

Quand un juge se substitue à l'arbitre sportif

Le parquet suédois a annoncé avoir lancé des poursuites contre un joueur de hockey sur glace, près de deux ans après une agression en plein match. Analyse d'un cas rare.
Capture d'écran d'une vidéo du match au cours duquel le hockeyeur suédois Jakob Lilja a été victime d'une agression de la part d'un adversaire. (DR)
publié le 6 février 2017 à 11h25

En 2015, Jakob Lilja, joueur de hockey sur glace à Rögle en Suède, écopait de dix matchs de suspension pour avoir frappé avec sa crosse la nuque de son adversaire, le joueur de Malmö Jens Olsson. Sorti sur civière, ce dernier n’avait pas souffert de séquelles. Près de deux ans plus tard, une magistrate du parquet suédois, Michelle Stein, a pourtant indiqué à l’agence de presse TT que la violence de l’agression justifiait que la justice s’y intéresse. Une décision peu courante. La justice se rangeant habituellement derrière la décision de l’arbitre en cas de faute sportive, la responsabilité pénale du sportif est rarement engagée.

L'agression de Jens Olsson sur Jakob Lilja

En France, que dit la loi ?

Si dans la vie courante le fait de blesser autrui, volontairement ou involontairement, est susceptible d'entraîner des conséquences juridiques pour le responsable des blessures, ce n'est pas automatiquement le cas dans le cadre d'une activité sportive. Le sport autorise en effet des actes qui seraient interdits dans la vie quotidienne. Que ce soit le rugbyman qui plaque son adversaire, le boxeur qui frappe son opposant ou le hockeyeur qui bouscule son vis-à-vis, ni la responsabilité civile, ni la responsabilité pénale ne peuvent être engagées tant que cela a été fait dans le cadre des règles du jeu. «Il s'agit là de pratiques admises par les mœurs, tolérées par les pouvoirs publics, et permises par les règlements écrits et édictés par les Fédérations sportives», peut-on lire dans une thèse de 1961 sur «la notion d'acceptation des risques sportifs et le droit de la responsabilité civile». Par exemple, le football est régi par les 17 lois du jeu. En ce sens, la mise en œuvre de la responsabilité du sportif suppose que soit préalablement constatée la violation d'une telle règle de jeu. Dans le cas où la victime est un tiers par rapport à l'activité concernée, la responsabilité civile pourra être engagée. Mais si elle est partie prenante du jeu, on juge alors qu'elle s'est exposée volontairement aux risques.

Il faut alors faire la distinction entre la faute acceptée par le sportif et la faute acceptable par le sportif. C'est la théorie de l'acceptation des risques : «Compte tenu de l'activité et de la nature de sa pratique, il y a un niveau de risque que le sportif est censé à minima accepter, nous explique Christophe Bertrand, avocat spécialisé en droit du sport. En fonction de la gravité du geste, de la méconnaissance des éléments techniques propres à chaque discipline et de l'intention éventuelle de celui qui a blessé, la faute peut dépasser ou ne pas dépasser les risques acceptables de la pratique concernée.» Cette distinction entre la faute acceptée et la faute acceptable a ainsi amené certains sportifs à poursuivre en justice leurs «agresseurs».

Dans le cadre de l'affaire de Jakob Lilja, la magistrate suédoise Michelle Stein a ainsi déclaré : «Quand on est sportif de haut niveau on peut accepter une certaine violence, mais il y a une limite […] C'est un coup, ce qu'on appelle un cross-checking, adressé dans le dos, qui n'a pas de lien avec le jeu.»

Un genou brisé

Le 9 novembre 2014 en Suisse lors d’un match qui l’oppose au FC Zurich, Sandro Wieser, footballeur au FC Aarau, taclait violemment le genou de Gilles Yapi. Le joueur ivoirien subit alors un déchirement des ligaments croisés du genou et des ligaments internes, ainsi qu’une fissure au ménisque interne et externe. Son cartilage est entamé jusqu’à l’os. Wieser est d’abord sanctionné de six matchs de suspension ; puis l’affaire est portée devant la justice à la suite de la double plainte de Gilles Yapi et de son club. En mai 2015, Sandro Wieser est ainsi condamné à 180 jours-amendes avec sursis (en Suisse, la sanction financière journalière est calculée en fonction du salaire), assortis d’une autre amende de 10 000 francs suisses, payable de suite.

Un plaquage aux conséquences terribles

En France, le 10 octobre 2010, Pierre Tarance, rugbyman au RC Vannes, était violemment plaqué par le Fidjien Alowesi Nailiko, joueur de Limoges. Soulevé, le Français retombait sur la tête, se fracturant les cervicales. Depuis ce jour, Pierre Tarance est tétraplégique. Rapidement, il a demandé que la responsabilité pénale de son adversaire soit engagée au-delà de la faute sportive, justifiant : «Je ne suis pas tombé la tête la première par l'opération du Saint-Esprit […] C'est un dixième de seconde qui a tout changé dans ma vie. Aujourd'hui, je suis dans mon fauteuil, je ne bouge plus.» Chose curieuse dans cette affaire, si Alowesi Nailiko a finalement été condamné à 1 500 euros d'amende avec sursis pour son geste, il n'a jamais été sanctionné sportivement. Et ce, alors même que cinq des six arbitres mandatés par la Fédération française de rugby pour analyser les images vidéo du match avaient conclu à un plaquage dangereux.

Les cas de poursuite au pénal restent malgré tout rares dans le cadre d'une faute sportive. Dans l'affaire Yapi-Wieser, le ministère public le rappelait justement : «Seules les fautes les plus graves doivent avoir des conséquences judiciaires.» En Suède, d'après la magistrate Michelle Stein : «Il y a suffisamment de preuves pour une condamnation», puisque l'agression a été filmée. Les coups et blessures volontaires y sont punis de deux ans de prison et dans la procédure pénale, le lancement formel des poursuites signifie que le mis en cause va être jugé. La date du procès reste à déterminer.