C'était il y a cinq jours, la Suissesse Lara Gut se blessait lors de l'échauffement du slalom lors de l'épreuve du combiné. Bilan? Rupture du ligament croisé antérieur (LCA) du genou et fin de saison prématurée, une constance chez les skieurs quel que soit leur niveau.
Dans son dernier rapport d'accidentologie des sports d'hiver, l'association Médecins de montagne a en effet estimé que 34% des blessures liées à la pratique du ski alpin provoquaient une entorse du genou. Parmi elles, 18% entraîneraient une rupture du ligament croisé antérieur. Joint par Libération, Jean-Baptiste Delay, président de l'association, décrypte cette blessure qui hante des skieurs.
Pourquoi le ski alpin provoque cette rupture du ligament croisé antérieur (LCA)?
Lorsque le skieur tombe, il reste droit mais le pied tourne ce qui provoque une rotation qui tire sur le LCA. Imaginez la force que vous pouvez avoir avec une clef à molette de 20 à 25 cm de long et multipliez-la par la longueur du ski. Il faut au minimum une tonne de poids de tension pour que le LCA rompe! C'est dire la force dont on est en train de parler.
Est-ce que ce type de blessure touche plus les skieurs occasionnels ou les pros?
Tout le monde est concerné, amateurs comme sportifs de haut niveau. Par contre, cela concerne deux femmes pour un homme.
Pourquoi?
Parce que l'on n'est pas fait pareil, tout simplement. Au niveau de l'anatomie des genoux notamment. Chez l'homme, ils seront souvent plus en varus (rotation externe du fémur) entraînant des jambes arquées. Alors que chez la femme, ils seront plus en valgus (rotation interne du fémur) ce qui donne des genoux dits «cagneux» ou «en X», qui sont plus vulnérable à cette blessure. Il y a aussi les rapports de masse, la musculature du quadriceps. Il existe aussi des raisons hormonales qui font que les ligaments sont plus fragiles à certaines périodes chez la femme.
En combien de temps se remet-on d'une rupture du LCA?
C'est long! En moyenne, de six mois pour reprendre une activité sportive à un an pour récupérer l'ensemble de ses facultés. Après, personne n'est fait de la même façon. Nous n'avons pas les mêmes quadriceps. Nous n'utilisons pas de la même façon notre LCA. Là, je parle en proprioception (se dit de la sensibilité du système nerveux aux informations sur les postures et les mouvements, venant des muscles et des articulations).
C'est-à-dire?
Le ligament nous donne des informations sur la position de notre genou. Si la personne a l'habitude (inconsciemment) d'utiliser ces informations pour se mouvoir, une blessure à ce niveau va la rendre très instable. Au contraire, un autre individu qui en fait moins l'usage pourra mieux récupérer.
Mais la rupture du LCA peut se soigner?
Oui! Le LCA peut cicatriser lorsque les deux bouts du ligament ne sont pas trop éloignés l'un de l'autre. Si ce n'est pas le cas, la personne concernée pourra quand même remarcher. Il s'agira d'apprendre progressivement à utiliser le genou sans LCA avec l'aide d'un kinésithérapeute. La chirurgie est une possibilité, même s'il ne faut pas oublier qu'une opération reste une intervention lourde pour le corps. Cela va consister à reconstruire le ligament cassé en utilisant un transplant (souvent une partie du tendon rotulien du patient). Elle a l’avantage d’être définitive quand on n'arrive pas à stabiliser son genou par un simple traitement ortho-fonctionnel (avec une attelle).
Y-a-t-il une possibilité que le genou récupère totalement (sans LCA)?
Il restera fragile quoiqu'il arrive. Vous n'avez plus ce ligament. Il ne va donc plus donner ces informations. De plus, lors de la blessure, il y a tout un choc qui se répercute entre la partie osseuse de l'articulation (entre le fémur au-dessus et le tibia en-dessous), c'est-à-dire le ménisque, les structures cartilagineuses ... Cet ensemble a pris un énorme choc qui peut provoquer une arthrose précoce et des douleurs méniscales. On garde souvent des séquelles, que le LCA ait pu se reformer ou pas.
Existe-t-il un moyen d'empêcher ou du moins de réduire ce genre d'accident?
La fixation telle qu'on la connait a été créée pour diminuer le risque de fracture tibia-péroné. Elle remplit bien son rôle car on n'en voit quasiment plus alors qu'il fut un temps où les médecins de montagne géraient de dix à quinze cas par jour. Malheureusement, le problème c'est que la blessure est remontée plus haut. Ce sont désormais les entorses du genou et parmi elles les ruptures du LCA auxquelles nous sommes le plus souvent confrontées en ski. Et pour l’instant on n’a pas trouvé de fixations qui arrivent vraiment à protéger ce ligament.
La fixation serait la seule manière de se prémunir?
Non. Déjà, je pense que beaucoup de personnes oublient qu’ils viennent faire du sport lorsqu'ils partent au ski. Ils arrivent en n’ayant pas fait de sport de toute l’année et en espérant skier pendant huit jours de neuf heures à dix-sept heures comme si de rien n'était. Le tout le plus souvent sans s'hydrater suffisamment ni se restaurer et parfois avec des skis qui ne sont pas adpatés sous prétexte qu'on veut absolument ceux de Jean-Baptiste Grange. C'est tout ce qu'il ne faut pas faire. Ce sont plein de petites choses qui peuvent paraître simples, mais ca ne viendrait à l'idée de personne, par exemple, d'aller faire un tennis pendant deux heures sans préparation.
Ce sont des problèmes que ne connaissent pas les skieurs de haut niveau. Alors pour eux, pas de solution miracle?
Ni pour nous simples êtres humains, ni pour les sportifs professionnels...