Quelle histoire ! C’est donc au terme d’un des suspenses les plus extravagants de l’histoire du rugby moderne, que la France a conclu son Tournoi des 6 nations 2017 par une victoire contre le pays de Galles, samedi après-midi, dans un Stade de France hésitant entre transe et apoplexie. A cet égard, ça n’est pas tant le score (20-18) qui restera dans les mémoires, que ces vingt minutes invraisemblables jouées au-delà du temps réglementaire. Vingt minutes ! Un extra time vraiment extra, car exclusivement circonscrit dans les 5 mètres d’un adversaire qui, pour ne pas rompre, en était réduit à plier. Les Gallois commettaient ainsi une série de fautes qui, dans n’importe quel autre match arbitré dans les règles - furent-elles induites, plutôt qu’édictées - se serait conclu illico presto par un essai de pénalité en faveur de l’assiégeant.
Mais, comme tétanisé par la conséquence irréversible d’une telle décision, l’Anglais Wayne Barnes en décida autrement et offrit une chance au XV de France d’aplatir pour de vrai dans l’en-but du XV du poireau. Lui-même s’estimant carotté par une morsure dont aurait été victime George North en pleins ébats rugueux, ainsi que par un remplacement «suspect» d’Uini Atonio par Rabah Slimani - le premier n’aurait peut-être pas subi une commotion cérébrale, contrairement aux assertions de l’équipe de France.
En définitive, les Gallois seront terrassés par Damien Chouly sous un déluge d'applaudissements tel que le profane aurait pu imaginer les Bleus vainqueurs d'une compétition qu'ils ne bouclent en réalité qu'à la troisième place. Sur la première marche trône l'Angleterre, battue samedi par une Irlande, elle, classée deuxième (lire ci-contre).
Errements
Si la France avait perdu à domicile contre le pays de Galles (qu’elle n’avait plus dominé depuis 2011), on lui aurait donné à coup sûr une volée de bois vert et rien n’interdit de penser que les jours de Guy Novès auraient pu être comptés à la tête de la sélection. L’ultime charge héroïque ne saurait absoudre les Bleus des nombreux travers, approximations et errements constatés durant le tournoi : morosité chronique du secteur offensif tourné trop systématiquement vers le grand large, incapacité problématique à s’adapter en cours de match à la stratégie de l’adversaire (ce fut particulièrement flagrant contre le pays de Galles et l’Irlande), absence d’individualités fortes capables de tirer le groupe vers le haut, voire de faire la différence dans les moments clés (le 18-40 pas convaincant contre l’Italie, les soucis physiques contre les grosses équipes).
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A chaque rencontre ses trous d'air, plusieurs dizaines de minutes durant lesquelles la France cafouille son rugby et s'en remet à une défense solide qui limite la casse. La défaite en Irlande, de 10 points «seulement», évite ainsi la débâcle : issue justifiée. L'autre match clé du tournoi, face à l'Angleterre, autre échec (19-16), laisse encore «amertume» et «frustration» aux joueurs un mois et demi plus tard tant ils ont cru pouvoir s'imposer : issue cruelle.
La victoire de samedi contre les Gallois ne permet pas de biffer tous ces chefs d'accusation. Le capitaine Guilhem Guirado, tout en lucidité pondérée, avance «le manque de constance» et «les points facilement donnés» à l'adversaire qui ne font pas de cette ultime rencontre un «match référence». Mais le succès survient de manière épique, qui plus est à la péroraison, ce qui laisse entrevoir quelques lendemains plus bleus… Enfin. Encadrement et joueurs à l'unisson, le groupe tricolore ne disait rien d'autre samedi à chaud. Visage poupin, le pilier Cyril Baille, 23 ans, se réjouissait d'un «bilan positif», avec «trois victoires contre deux défaites en cinq rencontres, dont trois à l'extérieur», sans s'appesantir sur le rôle décisif d'une mêlée tricolore qui aura été ultra performante tout au long du tournoi.
Satisfecit
Au même titre que Cyril Baille, quelques moussaillons ont marqué autant de points, au sens figuré comme au propre. Ainsi du demi de mêlée bordelais Baptiste Serin (formant une charnière stable, à défaut d’être flamboyante, avec Camille Lopez) ou du centre toulousain Gaël Fickou, hardis artificiers contribuant à allumer ces mèches éteintes sous l’ère de Philippe Saint-André, le sélectionneur flagada entre 2011 et 2015.
Son successeur, Guy Novès, à défaut de faire la chenille, formulait samedi un satisfecit où l'on sentait poindre le soulagement. Evoquant un match qui autorise à «garder une forme de confiance qui ne nous aveugle pas», l'ancien taulier du Stade toulousain en profitait pour scruter de nouvelles portes ouvertes sur l'horizon : «On ne peut qu'être fiers de nos joueurs qui ont démontré qu'avec un tel caractère on pourra continuer à progresser.» A vérifier en juin, lorsqu'une France requinquée s'en ira en Afrique du Sud, défier à trois reprises un colosse aux pieds d'argile.