Il s'agit certainement de l'avancée la plus concrète jusqu'à maintenant pour la reconnaissance de l'e-sport comme une discipline sportive à part entière. Le Comité olympique asiatique (COA) souhaite introduire dès l'année prochaine des démonstrations d'e-sport aux prochains Jeux asiatiques, en Indonésie. Dans un second temps, il sera totalement intégré aux programmes des Jeux asiatiques de 2022, à Hangzhou en Chine. Comme dans toutes les autres disciplines, les e-athlètes pourraient être alors récompensés par des médailles. L'e-sport devrait également être présenté aux Jeux asiatiques d'arts martiaux à Achgabat au Turkménistan en septembre. Les joueurs s'y affronteront notamment sur le jeu Fifa 2017 ou sur des jeux d'arènes de batailles en ligne multijoueurs type League of Legends. On devrait également y retrouver des compétitions de RTA (Real Time Attack), qui consiste à terminer un jeu le plus rapidement possible.
Le développement de cette nouvelle discipline ne se fait pas sans arrière-pensées commerciales puisqu'elle l'annonce a été faite dans le cadre d'un partenariat avec Alisports, la filiale consacrée aux sports du géant chinois de la vente en ligne Alibaba. Le COA a notamment justifié cette décision inédite par «le développement rapide de cette nouvelle manière de faire du sport et sa popularité parmi les jeunes».
Il s'agit en tout cas d'une énorme avancée pour ceux qui considèrent l'e-sport comme un sport comme les autres. Reconnus par le Comité international olympique, les Jeux asiatiques constituent le deuxième événement multisportif le plus important au monde après les Jeux olympiques. La dernière édition, en 2014 à Incheon en Corée du Sud, avait rassemblé près de 9500 athlètes membres de 45 fédérations. «C'est formidable, si ce n'est pas simplement un effet d'annonce et qu'on est véritablement sur une vision pérenne», affirme Matthieu Dallon, président de France e-sports, l'association française qui cherche à rassembler l'ensemble des acteurs nationaux faisant la promotion de la discipline. «Depuis dix-huit ans, l'une des premières phrases de mes pitchs quand j'essaye de convaincre des partenaires ou des médias du développement de l'e-sport, c'est qu'un jour une discipline e-sport sera présente aux Jeux olympiques. Donc c'est de bon augure, on a encore franchi une étape», ajoute-t-il.
Un marché de près de 460 millions d’euros en 2016
De plus en plus populaire, l'e-sport est un marché en pleine expansion. En 2016 il a ainsi généré plus de 460 millions d'euros de revenus dans le monde, avec une audience de plus de 320 millions de personnes. Ses recettes pourraient dépasser le milliard d'euros en 2019. Le fait que l'initiative d'intégrer l'e-sport à une compétition sportive classique ait lieu en Asie n'est pas une surprise non plus : à elles deux, la Chine et la Corée du Sud représentent près de 22% de l'ensemble des revenus de la discipline.
«C'est un signe que cela vienne d'Asie en premier lieu, détaille Matthieu Dallon. Ce sont des pays qui ont peut-être moins de barrières culturelles sur l'innovation et sur la technologie. La Corée du Sud a été un pays pilote en matière de sports électroniques et de développement de chaînes de télévision et de ligues nationales. Ils sont plus naturellement progressistes sur ces idées alors qu'en Europe, on est sur un modèle plus conservateur.»
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L'autre grand gagnant de cette annonce est Alisports, la filiale d'Alibaba. La marque est en effet très présente sur l'e-sport. L'an dernier, elle avait ainsi investi près de 135 millions d'euros dans la Fédération internationale de sports électroniques, basée en Corée du Sud, et qui cherche depuis plusieurs années à inclure les compétitions d'e-sport dans les Jeux olympiques. En janvier, elle a également organisé les Jeux mondiaux de sports électroniques dans la province de Changzhou en Chine. Près de 60 000 joueurs venant de plus de 120 pays avaient participé à cet événement. Alibaba semble avoir développé une véritable stratégie marketing sur le sport, électronique ou pas. Le groupe a ainsi signé en janvier un contrat pour être l'un des principaux sponsors des Jeux olympiques d'été et d'hiver pour les onze prochaines années.
OCA, Alisports announce E-Sports partnership for Hangzhou 2022! https://t.co/yK0NqQEyjp …#eSportsvibe #WESG pic.twitter.com/ZqPJL0nEep
— Alibaba Sports (@AlisportsCN) April 19, 2017
Et en France ?
Si on est encore loin de la reconnaissance du e-sport comme un sport à part entière, en France le secteur a commencé à se structurer. L'association France e-sports s'est créée l'année dernière sous le patronage de la secrétaire d'Etat au numérique, Axelle Lemaire. Elle se veut avant tout un lieu de dialogue entre les différents acteurs du secteur: joueurs, créateurs, éditeurs de jeux vidéo et promoteurs d'événements e-sportifs. Elle est notamment parvenue à faire reconnaître le statut de joueur professionnel, participant à l'élaboration d'un contrat de travail adapté, défini lors des discussions sur la loi pour une République numérique l'an passé.
Dans ses objectifs, l'association met clairement en avant la reconnaissance de l'e-sport . Elle souhaite notamment «définir un cadre légal pour l'organisation de tournois de jeu vidéo en ligne avec espérance de gains» et «élaborer une charte universelle du sport électronique inscrivant définitivement sa pratique dans l'histoire du sport». Pour cela, il faut d'abord concilier les intérêts parfois contraires des différents acteurs du secteur, avant de passer à une phase plus institutionnelle. «La première chose à structurer est une relation pérenne avec les éditeurs de jeux pour que soit mis en place un développement sportif équitable qui redistribue les recettes, notamment sur les activités amateurs», explique Matthieu Dallon.
Pour lui, il est clair que l'institutionnalisation du sport électronique ne pourra pas se faire de la même manière que pour les sports classiques. La discipline est basée sur «des logiciels protégés qui appartiennent à des sociétés privées, donc il y a forcément une structuration différente de celle du sport traditionnel qui lui, à la base, n'est contrôlé par personne», explique-t-il. Une formule reste donc à trouver. L'absence de réel effort physique, argument souvent brandi pour refuser à l'e-sport le statut de sport, s'il est compréhensible, n'est pas incontournable. «L'énergie qui est développée, le lien social, toutes les valeurs portées par le sport électronique sont tellement similaires aux sports traditionnels que l'institution aura besoin de reconnaître le e-sport comme un bien public universel et aura forcément besoin de le réguler», analyse-t-il.
Seule certitude pour l'instant : le public et la demande existent. Organisé depuis quinze ans en France, L'e-sport World Convention est devenue un événement emblématique qui réunit trois fois par an plusieurs centaines de participants du monde entier sur des jeux comme League of Legends, Just Dance ou Clash Royale. La compétition est notamment présente lors de la Paris Games Week qui se tient chaque année à l'automne dans la capitale. De multiples événements plus locaux existent également comme la Gamers Assembly à Poitiers, qui se tenait le week-end dernier ou encore le Dream Hack Tours qui se déroulera à Tours début mai avant Bordeaux en juillet. Signe de l'intérêt que provoque cette nouvelle discipline, des clubs de football comme le Paris-Saint-Germain ou l'Olympique lyonnais ont créé l'année dernière des équipes de e-sport portant leurs couleurs sur des compétitions de jeux comme Fifa 2017 ou League of Legends.
#ICICESTPARİS ! A strong final for @DaXeFiFa who is crowned @GamersAssembly FIFA Champion ! GGs to @MenceFIFA ! 🔴🔵 pic.twitter.com/fPPG6nsdc0
— PSG Esports (@PSGeSports) April 16, 2017
En France, selon France e-sports, entre 5 et 7 millions de personnes ont déjà participé à des tournois de jeux vidéo et une cinquantaine de joueurs professionnels gagnent déjà leur vie grâce à ces compétitions. L'association prépare d'ailleurs un livre blanc pour mieux cartographier ce secteur d'activité et avoir une idée plus précise de ce qu'il représente.